çait la première page de son livre par ces mots : Ami lecteur ! Quel amour, quel respect, quelles attentions il avait pour son ami, pour ses amis les lecteurs, pour ce public enfin qui, comme le dieu Pan, se trouve partout, quoiqu’on ne le voie nulle part ! Le public ? Oh ! je le connais bien. Il a ordinairement de quinze à trente ans, mais souvent plus de cinquante. Il s’occupe de lettres, de sciences, mais il est surtout agité par les passions, dominé par une foule de sensations tumultueuses, poussé par une curiosité insatiable. Le vrai public court les champs, les villes, les bibliothèques et les bals masqués ; il est armé du scalpel dans l’amphithéâtre, du pinceau à l’atelier, où il rêve la gloire en regardant de beaux yeux. Le public ? Je le vois encore à minuit dans le fond d’une alcôve, sous la forme d’une jeune femme gracieuse, préparant avec soin sa lumière, pour faire la lecture pendant la nuit. Je le vois, ce joli public dont le cœur palpite d’avance à la vue du livre qu’il va dévorer. Il met double oreiller pour être plus à l’aise ; il arrange sa couverture avec soin pour éviter les distractions, et bientôt il lit immobile, jusqu’au moment où l’émotion et le plaisir font battre son cœur et rouler des larmes dans ses yeux. Souvent encore il revêt une forme plus grave, car il approche de la vieillesse. Alors plus calme en apparence, mais cependant curieux jusqu’à la passion de retrouver les souvenirs d’un âge déjà bien éloigné du sien, il bénit en secret le livre qui lui retrace toutes les phases de la vie, qui ranime en lui des sentiments que la réalité ne lui procure plus, qui donne un intérêt rétroactif à l’existence parcourue, aux souvenirs qui s’effacent, aux sentiments qui s’affaiblissent. Et puis, si futile que soit un livre, dès l’instant qu’il est écrit en conscience, il porte son fruit. On le lit ou on le rejette ; on l’aime ou on le hait, et de tous les services que l’écrivain puisse rendre à l’ami lecteur, le plus utile est de ne pas le laisser indifférent.