Cette bonne nouvelle et l’invitation qui lui était faite de demeurer, mirent Edmond plus à l’aise devant le portrait ; il se crut suffisamment autorisé à user de cette distraction pour assurer consciencieusement la comtesse que le temps ne lui avait pas paru long dans la solitude.
Louise de Soulanges courait vers sa seizième année. Grande et bien faite, l’air enfantin de sa physionomie et le laisser-aller des mouvements de son corps, formaient un contraste singulier avec ce que l’on découvrait dans l’ensemble de sa personne, de la jeune femme déjà formée. Ses yeux exprimaient tout à la fois la pénétration d’une intelligence vive et le défaut absolu d’expérience. Au résultat cette combinaison faisait naître sur la physionomie de cette jeune personne une expression ineffable de bonté confiante, privée de toute coquetterie. Toutes ces nuances avaient été fort habilement saisies par l’artiste, et M. de Lébis, soumis à l’influence de son talent, ne savait, en considérant l’ouvrage, lequel le touchait le plus, ou de la jeune fille encore enfant qu’il y trouvait, ou de la jeune femme à laquelle tout semblait lui présager qu’il dut un jour unir sa destinée.
Rien n’est si étrange que le genre d’émotion causée par le portrait d’une personne qui nous intéresse déjà vivement, mais que l’on ne connaît qu’imparfaitement encore. À la ressemblance de ceux dont les traits et l’expression nous sont familiers, nous pouvons suppléer ce qui manque, ou refuser totalement notre approbation. Mais quand le modèle ne nous est apparu que muet et immobile sous le voile des bienséances du monde, un portrait comme celui que regardait M. de Lébis devient en quelque sorte la personne même. Il semble que l’on fait connaissance avec elle. On la regarde, on la considère de près ; une insatiable curiosité nous entraîne à étudier minutieusement sur la peinture tous les plus légers accidents d’une physionomie que l’on n’oserait jamais observer ainsi sur la personne même ; et il n’est pas jusqu’à cette espèce de complaisance que semble mettre un portrait à se laisser regarder sans impatience et sans honte, qui ne fasse illusion ; une intimité imaginaire s’établit entre la personne qui regarde et celle qui est regardée.