et une gaieté qui indiquaient bien plutôt la veille d’une fête que le lendemain d’un deuil.
« Ah ! mon cher frère, dit le cardinal de Retz à Fabio Chigi, qu’il trouva un soir chez le duc de Terra-Nova, ambassadeur d’Espagne, donnez-moi donc un conseil. Tous ceux de mes compatriotes ici, qui sont de mes amis, m’assurent que, malgré ma pourpre, je dois me conformer à ma triste fortune, et qu’il faut me contenter de mon pauvre carrosse et de mes six estafiers. Vous savez que tous mes revenus sont saisis en France, que je ne vis qu’avec l’argent que m’a prêté le grand-duc. Que faut-il que je fasse ? Dois-je obéir à ma mauvaise fortune ou aux exigences de ma dignité ? »
Chigi tourna sa figure grave vers de Retz, et après avoir souri du coin de la lèvre : « Comment ! dit-il, c’est un homme comme vous qui faites une pareille question ? — Je vois bien, répondit l’autre, que vous ne connaissez pas le clergé français, qui prend tout au sérieux et fait les choses en conscience. Figurez-vous qu’ils sont persuadés là-bas qu’un cardinal persécuté, tel que je le suis, doit vivre comme un particulier à Rome. Si j’en croyais ce que me disent sans cesse mes amis les abbés de Courtenay et de Sévigné, je demeurerais toujours à la mission, je ne ferais aucune dépense ; modestie qui produirait, disent-ils, un effet admirable dans le clergé de Paris, dont il est vrai que je pourrai avoir grand besoin par la suite. — Non, non, monsieur de Retz, lui répondit Chigi, quand vous serez établi dans votre pays, vous vivrez comme il vous plaira, parce que l’on saura ce que vous pouvez et ce que vous ne pouvez pas. Mais vous êtes à Rome, où vos ennemis disent tous les jours que vous êtes décrédité en France. Il est indispensable de faire voir qu’ils ne disent pas vrai. — Vous croyez ? — Vous n’êtes pas ermite ; vous êtes cardinal, il me semble, et de ceux que nous appelons ici cardinaloni !.... Ce n’est pas, continua Chigi, en reprenant toute sa gravité, que nous n’estimions peut-être ici plus qu’ailleurs la modestie. Mais chez un homme de votre naissance, il faut qu’elle soit tempérée, et surtout qu’on ne la lui impose pas. Il ne manque pas de gens à Rome