l’amitié que je vous porte est profonde ? Faut-il absolument vous avouer qu’ainsi que vous, j’ai parfois rêvé follement à une union que le plus épais bon sens condamne ? car si ce n’était qu’un ridicule à braver, certes il ne m’arrêterait pas. Mais enfin il y a de grosses, d’énormes vérités sur lesquelles on ne saurait se faire illusion. Vous n’avez que dix-neuf ans, Ernest, et j’en ai vingt-trois. Vous n’avez point d’état, votre fortune n’est pas faite, et, chose bien plus importante encore, votre cœur n’a point été éprouvé.
— Eh quoi ! interrompit Ernest avec vivacité, pourriez-vous croire qu’après vous avoir connue, quelque autre pût faire la moindre impression sur moi ?
— Sans abuser de la prudence, on peut le craindre.
— Oh ! mademoiselle Justine, quelle injure vous me faites ! avec une beauté et des grâces comme les vôtres...
— Brisons sur les compliments, je vous en prie. Je suis comme le ciel m’a faite, et je ne vous permets ni louanges ni critique sur ma personne. Mais tant que vous n’aurez pas été mis à l’épreuve en en voyant d’autres, même moins jolies, moins aimables que moi, vous me permettrez de rester dans le doute. Ce doute, vous le sentez, est supportable pour moi en ce moment ; mais si j’étais à vous, si vous étiez à moi, si nous étions unis indissolublement et que l’épreuve me fût contraire ! Ah ! Ernest, quels regrets n’auriez-vous pas, et quel sort m’attendrait ?
En prononçant ces mots, mademoiselle de Liron, qui avait pris une main d’Ernest, laissa tomber sa tête en fixant ses yeux sur le sable comme quelqu’un qui réfléchit tristement. Cette posture grave et ce silence firent impression sur le jeune homme. Il hasarda quelques protestations d’attachement inviolable ; mais dans la recherche de ses mots, à l’embarras sensible de ses phrases, il était facile de découvrir que mademoiselle Justine de Liron venait de lancer dans l’esprit du jeune homme le germe d’une idée qu’il n’avait jamais eue jusque-là. Elle s’en aperçut bien, et après avoir repris son sang-froid, elle lui dit : « Je suis certaine que vous sentez à présent que je suis trop âgée pour vous ?... que vous ne sauriez raisonnablement vous constituer mon