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MADEMOISELLE
JUSTINE DE LIRON.


Si je vous aime ? singulière question en vérité, après les marques d’amitié que je vous donne ! mais si vous êtes assez fou pour croire qu’une fille de vingt-trois ans est elle-même extravagante à ce point d’épouser un jeune homme de dix-neuf, vous vous êtes singulièrement abusé, monsieur Ernest.

— J’espérais...

— M’épouser, n’est-ce pas ? interrompit brusquement mademoiselle de Liron. Si cette espérance n’a rien qui me blesse, sachez qu’elle me fait beaucoup de peine, car cela me prouve que votre jugement est bien peu formé.

Piqué de ces paroles, Ernest se retourna vivement vers le dossier du banc sur lequel il était assis et cacha son visage dans ses mains. Il est probable qu’il pleurait. Quant à mademoiselle Justine, assise sur le même banc, à peu de distance du jeune homme, elle le regardait avec un mélange de curiosité et d’inquiétude qui ne l’empêchait pas cependant d’agiter avec vivacité une branche de frêne qu’elle tenait à la main. Pendant plusieurs secondes les deux interlocuteurs restèrent dans cette position et sans dire un mot.

— Ernest, reprit enfin mademoiselle Justine, en touchant légèrement avec sa branche le pied de son voisin, écoutez-moi avec attention.

Ernest se retourna aussitôt vers elle. Il laissa aller ses deux bras le long de son corps et tenant le regard baissé, il se disposa a écouter comme quelqu’un qui obéit à un ordre.