Page:Delâtre - L’Égypte en 1858.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 19 —

que le Ripon s’approche de la terre d’Égypte, il me semble apercevoir, aux premières clartés du matin, les ombres de ces trois géants, debout sur le rivage, la tête couronnée, d’éclairs et la main armée d’un fouet, symbole de la royauté. Trinité imposante et sinistre !

Probablement les érudits soutiendront qu’il est impossible que j’aie vu sur le rivage de l’Égypte les trois personnages que je viens de nommer, et ils me taxeront de visionnaire. J’ai déjà déclaré que je veux être vrai, et livrer à mes deux ou trois lecteurs mes sensations telles qu’elles se sont gravées dans mon esprit. Ce n’est pas ma faute à moi si les ombres de ces messieurs me sont apparues au bord de la mer. Je ne suis point superstitieux, car je suis peu crédule ; mais il m’arrive quelquefois d’évoquer les absents et les morts avec une telle puissance de reproduction, que mes yeux les voient et mes mains les touchent. C’est là une faculté qui a son mérite.

On aura beau dire que la poésie et la science sont ennemies ; — je ne connais pas de facultés plus sympathiques ni plus homogènes. Les grands savants sont de grands poètes. Voyez Copernic, Galilée, Newton, Cuvier. Leurs découvertes se sont présentées d’abord à leur imagination comme des rêves ; et en effet elles en avaient tout l’air, et les contemporains ne les regardaient pas autrement que comme des folies et des contes de nourrice. N’est-ce pas de la même façon que furent reçues de nos pères les inventions de Fulton et de Morse ? Voguer sur l’eau avec des roues ; rouler en voiture sans chevaux ; correspondre d’un bout du monde à l’autre à l’aide d’un fil, voilà des prodiges qui tenaient du miracle, et que tout le monde reléguait parmi les riantes fictions de la poésie antique. Et pourtant cette poésie est aujourd’hui une réalité, une réalité que la plupart des gens trouvent prosaïque : tant les jugements humains sont sujets à changer !

Notre république flottante a une constitution régulière qui fonctionne dans la perfection. Tout s’y fait avec une