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HÉLIKA.

grondait dans le lointain et ses roulements nous arrivaient comme les détonations de mèches de canons.

Vers onze heures, le craquement d’une branche comme si elle eût été brisée sous les pas d’un homme retentit à mon oreille.

Deux carabines bien chargées étaient auprès du moi ; j’en saisis une et me tins prêt à tout événement. Je m’assurai aussi que mon couteau jouait parfaitement dans sa gaine.

Mon œil bien qu’exercé à l’obscurité dans les chasses à l’affut que je faisais la nuit, ne pouvait cependant percer les ténèbres qui m’environnaient.

Heureusement qu’un éclair brilla un instant. Il disparut très vite, mais néanmoins j’eus le temps de remarquer une touffe d’arbrisseaux qui se trouvait à trois arpents à peu près de la maison et qui n’y était certainement pas lorsque j’avais fait l’inspection des lieux.

Dix minutes après, un nouvel éclair apparut au firmament.

J’avais toujours l’œil fixé vers l’endroit où je venais de voir le buisson. Pendant ce laps de temps, il s’était considérablement rapproché. Il ne devait pas être à plus de vingt pieds du Gascon. Instruit par Baptiste des ruses des Indiens, ce dernier n’ignorait pas qu’il y avait embûche et que l’ennemi s’avançait. En même temps, son chien qu’il ne retenait qu’avec peine réussit à s’échapper et s’élança dans la direction du buisson en poussant d’affreux hurlements.

À peine y fut-il arrivé que ses furieux aboiements se changèrent en cris plaintifs. Le bouillant Gascon n’y put tenir plus longtemps. En deux bonds, il fut à l’endroit où les bandits abrités par le buisson s’avançaient vers ma demeure. Une détonation se fit entendre, un blasphème affreux y répondit et le craquement de branches qu’on ne cherchait plus à dissimuler nous avertit que quelqu’un s’échappait.

Pendant ce temps le Français faisait un bruit d’enfer. Les sandédioux, les cadédis, je te tiens couquin, étaient montés au plus fort diapason.

Des torches que nous avions préparées furent allumées et nous accourûmes. Le compagnon de Paulo avait rendu l’âme, la balle lui avait traversé le cœur. Le blasphème avait été son dernier adieu à la terre.

Quant au Gascon, en apercevant son chien qui perdait son sang par une large blessure à la poitrine, il se mit à l’embrasser pleurant et lui prodiguant les épithètes les plus tendres tandis que les couchons, les voleurs, les canailles, lui sortaient de la bouche par torrent à l’adresse de l’homme mort.