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HÉLIKA.

mort, si vous le voulez. Nos origines et nos titres de noblesse sont du même niveau et sans frime après que nous aurons soupé, je vous raconterai la mienne. »

Ils échangèrent ensemble de cordiales poignées de mains et le silence ne fut bientôt troublé que par le pétillement du feu et le bruit de leurs mâchoires.

Les appétits satisfaits, Baptiste commença sa narration : Son enfance avait été misérable comme celle de presque tous les enfants trouvés. Abandonné sur le bord du chemin, il avait été recueilli par une espèce de mégère qui l’avait élevé dans un but de spéculations. Elle parcourait les villes et les villages, exploitant la pitié des personnes charitables par l’état de maigreur et de dénuement dans lequel elle le maintenait en le privant de nourriture et en vendant les bardes qu’on lui donnait pour en employer l’argent à acheter des liqueurs spiritueuses dont elle se gorgeait.

Lorsqu’il eut atteint l’âge de sept ans, il avait déserté pour échapper à ses mauvais traitements et était venu rejoindre un campement de sauvages qu’il nomma et que je reconnus comme faisant partie de la tribu où j’étais chef, et au milieu de laquelle il avait passé une dizaine d’années. La guerre étant survenue, il s’était engagé comme volontaire dans le corps expéditionnaire du Commandant Ramsay qui partait pour l’Acadie.

Les ennemis du sol une fois repoussés, il s’était embarqué à bord d’une corvette française ayant nom La Brise. Pris comme corsaire et vendu en qualité d’esclave, en même temps que son chef sauvage qui commandait sur le même vaisseau à cinquante volontaires de sa nation, il était parvenu à s’échapper après des dangers sans nombre.

Il avait depuis sillonné les mers en tous sens et était revenu se faire trappeur avec le dessein bien arrêté de revoir ses anciens amis. Comme il était certain que le chef devait être mort dans les fers de l’esclavage n’en ayant eu aucune nouvelle depuis, il désirait surtout rencontrer la fille de ce même chef qui avait été une Providence pour lui avant son départ et la protéger dans le cas où elle serait dans la nécessité, en reconnaissance de ce qu’elle lui avait fait.

On peut imaginer avec quel intérêt mêlé de surprise j’écoutai cette histoire. Elle était d’ailleurs de nature à m’intéresser à plus d’un titre. D’abord la rencontre de Baptiste que j’avais double plaisir à revoir puisque je le connaissais depuis nombre d’années et que c’était le même qui enfant, était venu nous demander asile. En l’absence de Paulo, il était le commensal le plus assidu de ma cabane.