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HÉLIKA.

entrer au salon où sa fille, charmante personne bien élevée, exécutait un air de musique. Rougissant comme une pivoine j’entendis lire la pancarte que j’avais donnée sur laquelle étaient écrits d’une manière illisible mes noms, titres et qualités. Pendant cette longue énumération que mon père avait lui-même griffonnée, je voyais la jeune fille se tordre en tous sens pour s’empêcher d’éclater. Cependant elle put se dominer et me montrant un fauteuil elle m’invita à m’asseoir. J’allai donc m’y installer, mais croyant qu’il était incivil de l’occuper tout entier je m’appuyai simplement sur un des bords. Malheureusement, j’avais mal calculé les lois de l’équilibre, le fauteuil culbuta avec moi. Dans l’effort que je fis pour me retenir, je renversai une table chargée de pots de fleur dont la terre et l’eau vinrent me couvrir entièrement la figure. Jamais de ma vie je n’ai entendu de pareils éclats de rire. Je jugeai à propos de tenter un mouvement de retraite, mais par malheur en faisant mes salutations de reculons et mes excuses les plus sincères, j’allai poser le talon de ma botte sur les pattes du chien favori couché à peu de distance.

« Le caniche poussa des cris affreux, je le pris précieusement dans mes bras et le caressai pour tâcher de le consoler, le croiriez-vous, la vilaine bête laissa couler de l’eau qui m’humecta. La chaleur que me procura ce bain improvisé me fit perdre complètement la tête, il m’échappa des mains et tomba lourdement par terre.

De là redoublement de cris du chien, redoublement aussi d’éclats de rire de l’assistance.

« Tout confus, je saisis mon chapeau à plumes que j’avais déposé sur le plancher à côté de mon siège, tel que le cérémonial de mon père me l’avait ordonné, et je me retirai de reculons, saluant à droite et à gauche les valets et les cuisinières que je prenais pour le marquis et sa demoiselle qui s’étaient esquivés sans doute pour rire plus à leur aise.

« Apercevant la porte du dehors dans mon mouvement de retraite, je m’y dirigeai avec précipitation.

« En m’y rendant, toujours en saluant de reculons par crainte d’être incivil, je heurtai violemment une grosse fermière qui entrait. Elle portait sur sa tête un vase rempli de crème. Je ne sais comment la chose se fit, mais la fermière dont j’avais barré les jambes tomba sur moi et le pot de crème m’inonda la figure. Certes ce n’était pas un petit poids, je vous prie de le croire, que celui de la fermière et lorsque je fus débarrassé de sa masse, grâce aux valets qui nous relevaient en étouffant de rire, j’enfourchai ma monture que mon laquais tenait à grand-peine.