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HÉLIKA.

les cas aux inscrutables desseins de la Providence ; dans une heure, je serai de retour. »

La lueur blafarde du crépuscule du matin scintillait péniblement, déjà depuis quelque temps, à travers le sombre vitrail grillé de mon cachot et l’exécution devait avoir lieu à six heures.

Les ouvriers qui avaient travaillé à dresser l’échafaud avaient terminé leur tâche funèbre, car on n’entendait plus les coups de marteau. De plus, le murmure du dehors, comme celui d’une foule qui s’occupe avec indifférence des intérêts les plus mercenaires dans ces moments solennels, parfois même un éclat de rire mal étouffé arrivait à mon oreille attentive, aiguisée et inquiète ; je frémissais en songeant que déjà on se rendait pour choisir la meilleure place afin de savourer plus longtemps les dernières palpitations d’un corps humain suspendu au bout d’une corde.

Je supputai qu’il pouvait être alors quatre heures et demie.

Jamais je ne saurais vous dépeindre les angoisses, les tortures, les inexprimables douleurs, les anxieuses espérances que chaque minute m’apporta, en attendant le retour de monsieur Odillon.

Enfin des pas se firent entendre dans le corridor, la porte de mon cachot s’ouvrit et la figure grave de l’homme de bien m’apparut. Il était accompagné de deux tourne-clefs.

« J’ai enfin pu pénétrer auprès du Gouverneur après des peines sans nombre », me dit-il tristement.

« Il paraît qu’il a failli être assassiné hier soir et il a noyé sa frayeur dans de copieuses libations. Il m’a donné sa parole qu’il allait envoyer immédiatement l’ordre d’un sursis. Il a refusé de m’en charger tant il est encore abasourdi, mais il consent néanmoins à ce qu’on vous ôte vos fers et permet que vous communiquiez avec Attenousse ?

« Vous savez, reprit-il avec amertume, pendant qu’on me délivrait de mes fers, qu’on met plus d’empressement souvent à condamner ses semblables qu’à sauver un innocent. »

Ce fut d’un pas défaillant qu’accompagné de monsieur Odillon et d’un guichetier je pus me rendre au cachot d’Attenousse. Lorsque nous entrâmes, il dormait encore, mais le bruit de nos pas l’éveilla. En m’apercevant, il s’élança au bout de ses chaînes et nous nous tînmes longtemps embrassés. « Angeline, mon enfant, et ma vieille mère, me demanda-t-il lorsqu’il put parler, que sont-elles devenues ? » Je ne pus lui répondre, je me sentais étouffé sous le poids de tant d’émotions. Alors monsieur Odillon vint à mon secours, il lui raconta en quelques mots les principaux incidents