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HÉLIKA.

furent employés pour obtenir une entrevue ne dût-elle même durer que cinq minutes.

Mais au moment où mes lamentations devaient être des plus déchirantes et des plus pressantes, pour toute réponse je fus saisi et garroté.

Alors mes forces m’abandonnèrent complètement et un affreux découragement s’empara de moi. Dans cet état, on me conduisit à la prison, on m’enferma dans un obscur cachot et on m’enchaîna comme un misérable malfaiteur.

Lorsque j’entendis la porte se refermer sur moi, je sortis de mon complet anéantissement, car depuis le palais jusqu’à la prison, j’avais perdu l’usage de tous mes sens.

La fraîcheur du cachot me ramena aux sentiments de la réalité.

La prison des Trois-Rivières, comme toutes celles de ces temps était une bâtisse à deux étages. La lumière ne filtrait dans les cellules que par un étroit soupirail grillé de niveau avec le plafond, elle ne pouvait se faire jour qu’à travers un épais rideau de poussière et de fils d’araignées. Les murs suintaient l’humidité de toutes parts, un monceau de paille pourrie répandait une odeur infecte, quelques crampons de fer rivés aux murs auxquels étaient attachées de fortes chaînes avec des menottes qu’on me passa aux pieds et aux mains, tel était l’intérieur de tous les cachots. Tous rapports avec l’extérieur ne se faisaient que par un guichet d’une petite dimension par où le geôlier venait passer aux prisonniers l’écuelle d’eau et le morceau de pain sec s’ils n’étaient pas enchaînés ; dans l’autre cas, ces aliments étaient déposés près d’eux, celui qui les apportait pénétrait dans la cellule ou plutôt dans le cachot. C’est à peine si cette nourriture pouvait soutenir ces pauvres malheureux pendant une quinzaine de jours.

Voilà ce qui explique pourquoi on s’empressait de juger sitôt les criminels tant on craignait qu’ils ne mourussent d’inanition avant que d’avoir subi leur procès.

Toutes ces réflexions je les fis dans un instant, puis tout à coup se présenta à mon esprit l’exécution d’Attenousse, qui devait avoir lieu le lendemain et moi qui étais si près de lui, moi dont la poitrine était couverte de blessures et dont la voix était si puissante, quand j’étais libre, auprès des officiers français et du Gouverneur en chef, qui tous me connaissaient particulièrement, je ne pouvais rien faire pour lui. Oh ! alors je bondissais comme un lion dans sa cage, je faisais des efforts surhumains pour conquérir ma liberté, je m’élançais au bout de mes chaînes et faisais de telles tractions qu’elles ébranlaient presque le mur vermoulu de mon cachot. Je poussais des cris, des rugissements qui n’avaient rien d’humain et