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HÉLIKA.

ment recula-t-il de quelques pas. Le lendemain le nègre et moi étions attachés au poteau dont j’ai parlé.

Ce fut donc dans la nuit qui suivit, lorsque nous étions fortement liés sur des lits de paille remplie de chardons sur lesquels reposaient nos chairs mises au vif par leurs affreuses cruautés, qu’accompagnée d’une jeune esclave, notre libératrice entra dans notre hutte. Elle portait une lanterne sourde, en dirigea la lumière vers son visage pour que nous vîmes le signe qu’elle nous faisait en mettant le doigt à sa bouche, de garder le silence.

Elle s’approcha ensuite de nous, déposa des livres à notre portée, pendant que la servante nous montrait un ample sac de provisions et des vêtements convenables pour servir à notre déguisement. Elle dit ensuite quelques mots en espagnol que cette dernière nous traduisit : À un endroit qu’elle nous indiqua, un canot avait été disposé pour favoriser notre fuite. En descendant la rivière, nous n’aurions pas à craindre la poursuite des hommes ou des chiens. Un papier où la signature du planteur était contrefaite nous accordait un congé de deux semaines. Elle nous informa de plus que dans trois jours, dans le port de Charlestown, un bâtiment français devait mettre à la voile pour l’Europe.

Pour comble de bienfaits notre libératrice nous remit deux bourses bien garnies et s’éloigna non sans que nous eussions eu le temps de voir son angélique figure inondée de pleurs.

Nous suivîmes à la lettre les instructions de notre ange de salut. Le canot effectivement se trouvait à l’endroit désigné. Ce qu’il nous avait fallu déployer d’énergie, de forces morales et physiques pour réussir à briser nos liens et marcher jusque-là est impossible à décrire, tant nous étions épuisés par les tortures de la veille.

J’ai vu, depuis ce temps, dans les rapports des chirurgiens militaires anglais que les soldats obligés de subir des amputations capitales, disaient à l’opérateur : oh ! ce n’est rien, monsieur, les blessures et les amputations ne produisent jamais les souffrances que nous fait endurer le chat à neuf queues !!!

Enfin la Providence sembla favoriser notre évasion, car la nuit était des plus sombres ; tout faisait présager un orage prêt à éclater, ce fut effectivement ce qui arriva ; mais toutefois nous réussîmes avant que le crépuscule parut et que l’horizon s’éclaira à mettre une bonne distance entre nous et ceux qui nous poursuivaient.

Mon expérience dans la vie des bois m’avait fait connaître une plante dont la friction aux pieds trompe le flair du plus fin