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HÉLIKA.

gnon et moi attachés au poteau infâme. Elle avait entendu le contre-maître ordonner à une espèce d’Hercule, monstre de férocité à face humaine, de nous administrer à chacun cinquante coups de fouet. Elle avait vu avec horreur le sang ruisseler de chacune des déchirures profondes que le fouet à neuf branches faisait dans nos chairs. Elle avait vu nos membres se tordre dans des mouvements convulsifs sous ces inénarrables douleurs, elle résolut alors de nous sauver.

Elle savait d’ailleurs que nous étions parfaitement instruits de la faute de larcin dont on nous accusait.

C’était ostensiblement pour punition de cette faute que nous avions été flagellés, tout le monde savait bien aussi dans la plantation que la vraie raison était que le nègre et moi nous avions exprimé un sentiment d’indicible horreur de voir une jeune quarteronne, enfant du vendeur, exposée nue à la criée publique. Un acheteur d’esclaves mettait l’enchère. C’était un vieillard aux regards lascifs et pleins de convoitise. La mère de cette jeune fille, élevée dans des sentiments catholiques, voyait avec désespoir le spectacle auquel on la forçait d’assister. On peut juger de ce qu’elle devait éprouver et de ce que j’éprouvais moi-même en songeant : Oh si c’était mon Angeline qui fut à la place de cette malheureuse !

Enfin l’adjudication se fit, l’odieux vieillard était l’acquéreur, elle était désormais son bien, sa propriété !!!

Combien pourtant ne s’est-il pas trouvé d’hommes qui voyaient avec indignation le mouvement qui se faisait pour l’abolition de l’esclavage.

La mère, quand elle vit partir son enfant, s’approcha d’elle en poussant des sanglots déchirants ; elle la pressa sur son cœur et lui passa une croix autour du cou.

Le contre-maître se précipita aussitôt vers elles, les sépara brutalement, envoya rouler par terre la malheureuse mère par un rude coup de poing et arracha violemment la croix qu’elle avait suspendue au cou de son enfant, le cordon qui la retenait laissa sur sa peau un sanglant sillon.

Oh ! si j’avais été libre et que j’eusse eu autour de moi mes braves sauvages, non, certes, cet acte exécrable ne se fut pas accompli.

J’allais m’élancer pour anéantir le contremaître tant j’étais hors de moi, le nègre spontanément allait aussi en faire autant, mais nos chaînes infâmes nous retinrent. Le contremaître vit sans doute le mouvement que nous fîmes, il comprit, à l’expression de nos figures, toute l’horreur qu’il nous inspirait ; aussi instinctive-