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HÉLIKA.

Grand Chef et au moment je suis entré, il allait écraser la tête d’une pauvre jeune fille. L’Ours Gris, ajouta-t-il d’un air dédaigneux, n’a-t-il donc plus assez de force pour combattre des hommes, puisqu’il s’attaque aujourd’hui aux femmes. Le Grand Chef de Stadacona sera bien surpris, lorsque je lui dirai qu’Hélika qu’il m’a envoyé chercher pour réunir ses guerriers, je l’ai trouvé assassinant une enfant qui ne lui a jamais fait de mal ? Que diront aussi Ononthio et ses guerriers, si jamais ils entendent parler de ce que j’ai vu hier soir ? J’ai attendu que le génie du mal fut parti de ton esprit, que tu pusses me comprendre pour te remettre un message pressé et important. »

Ces paroles étaient dites d’une voix ferme et pleine de mépris. Dès ce moment, les empreintes que je portais sur mes bras étaient expliquées.

Je fis signe au guerrier de s’asseoir et m’empressai de décacheter ce message. C’était effectivement un ordre du gouverneur de Québec qui m’invitait ainsi que tous les autres chefs des divers tribus alliées aux français, de se rendre immédiatement à un conseil de guerre. Il fallait, ajoutait le message, faire la plus grande diligence, car les Anglais et les Iroquois avaient déjà fait irruption sur notre territoire ; des renseignements positifs le mettaient à même d’affirmer que plusieurs des nôtres avaient été massacrés par ces derniers.

Il n’y avait pas à balancer un seul instant. En peu de temps, j’assemblai la tribu et je réunis le grand conseil de guerre. Il fut unanimement décidé que nous irions porter secours à nos frères, et repousser, pour toujours, s’il était possible, ces puissants et barbares ennemis. Toutes les diverses peuplades, Malachites, Abénakis, et Montagnais se joignirent à nous et deux jours après l’arrivée du courrier, ayant remis les femmes et les enfants sous la protection du grand Esprit des visages pâles, nous prîmes les sentiers de la guerre.

Malgré l’activité fébrile que j’avais déployée, je n’avais pas oublié de pourvoir aux besoins futurs d’Angeline. Depuis la dernière nuit dont je vous ai parlé, une transformation complète s’était faite en moi. Était-ce l’effet de la peur, ou était-ce dû aux prières d’Angeline, peut-être aussi à une protection céleste ? Je ne puis m’en rendre compte encore aujourd’hui ; mais j’en avais fini avec mes idées de haine et de vengeance. Le bras de Dieu s’était appesanti sur moi. J’avais usurpé ses droits, violé ses commandements, c’était à moi désormais qu’il appartenait de souffrir. La pauvre et chère enfant entendit avant mon départ les premières paroles de tendresse que je lui adressais sincèrement. Elle reçut