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HÉLIKA.

la vision des yeux de Marguerite passèrent devant moi. En même temps, mes deux bras se trouvèrent serrés comme dans un étau, cette fois encore, tous les objets disparurent à ma vue et les mots « frappe si tu l’oses » retentirent à mes oreilles.

Mes terribles passions à force de violence avaient enfin fini par influer sur ma constitution. Un médecin que j’avais consulté dans une de mes excursions, m’avait prévenu que si je ne modérais pas la fougue de mes emportements, je ressentirais bientôt les atteintes du Haut Mal. Toujours est-il que dans le cours de la nuit, lorsque je repris connaissance, Angeline, agenouillée dans un coin de ma chambre, avait les mains élevées vers le ciel, elle récitait en pleurant, une fervente prière, demandait à Dieu de conserver mes jours, promettant bien de faire tout ce que j’ordonnerais ; elle s’accusait d’être la cause de mon mal par le chagrin qu’elle me causait.

Cependant, je sentais aux deux bras une douleur très vive. Je relevai mes manches et aperçus les empreintes de doigts telles qu’en aurait pu faire une main de fer. Or, pas un homme de la tribu, je le savais, n’aurait pu imprimer par sa force musculaire de semblables meurtrissures sur moi et ne l’aurait osé. Le souvenir de cette étreinte formidable me revint l’esprit. Était-ce Octave ou un protecteur inconnu qui était venu sauver Angeline ? On le saura.

Ce fut alors et peut-être pour la première fois depuis bien des années, qu’en cherchant à répondre aux questions que je m’adressais, l’idée d’un Dieu vengeur se présenta à ma pensée, et pour la première fois aussi des larmes de repentir glissèrent sur mes joues. Pendant ce temps Angeline priait toujours. Oh ! comme dans ce moment, si je l’avais osé, je l’aurais interrompue pour lui demander pardon. Quand elle eut terminé sa fervente prière, elle s’approcha de moi, me prit la main d’un air timide ; son regard était chargé de tristesse et de larmes. J’allais parler pour la consoler lorsque des pas se firent entendre autour de ma cabane. En même temps, un beau jeune Indien à la taille herculéenne, aux traits mâles et francs s’arrêta sur le seuil. Il portait le costume d’une autre tribu sauvage, nos plus fidèles amis. Je remarquai de plus avec étonnement qu’il avait le tatouage et les armes du guerrier indien qui parcourt les sentiers de la guerre. Il s’arrêta immobile et attendit, comme il est d’usage chez eux, que je lui adressasse la parole : « Que veut mon jeune frère ? lui dis-je, en m’asseyant sur mon lit. Depuis quand est-il dans le camp et pourquoi n’est-il pas venu fumer le calumet avec l’Ours Gris (c’est ainsi qu’on me désignait parmi des indiens dans le wigwam du grand chef). » « Je suis venu, répondit-il, mais le mauvais génie s’était emparé de l’esprit du