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HÉLIKA.

Cependant, un jour que j’avais pris de l’eau-de-vie plus qu’à l’ordinaire, je me résolus à frapper le dernier coup. Je n’avais encore fait que des allusions détournées à Angeline quant à mon projet, et chaque fois, j’avais vu la jeune fille frissonner de dégoût au seul nom du monstre. Ce fut donc ce jour-, après avoir pris un bon repas, qu’elle m’avait apprêté avec grand soin et pendant que Paulo d’après mes ordres, s’était absenté, que je lui signifiai formellement ce que j’exigeais d’elle. La pauvre enfant me regarda d’abord d’un œil doux et étonné comme pour s’assurer si j’étais sérieux, n’en pouvant croire ses oreilles, mais bientôt ma voix devint plus sèche et plus impérative, je pris le ton de la colère et l’informai que dans trois semaines, elle serait l’épouse de Paulo. À ces mots, elle tomba à mes pieds en les arrosant de ses larmes. Les mains jointes, elle tourna ses beaux grands yeux vers moi : « Oh ! mon père, mon bon père, dit-elle d’une voix entrecoupée de sanglots, non ! non ! c’est impossible ! Je veux toujours demeurer avec toi, je te soignerai dans tes vieux jours et tâcherai de ne jamais te donner aucune cause de chagrin. Pardonne-moi, toi qui est si bon, car il faut que, sans intention, j’aie fait des choses bien mauvaises qui ont pu te déplaire, pour que tu veuilles me livrer à cet infâme. Si tu l’exiges, mon père, je laisserai ta cabane et n’y reviendrai que pour préparer tes repas et prendre soin de toi lorsque tu seras malade Je ne te demande pour toute nourriture que de partager avec tes chiens les restes que tu nous abandonneras ; je t’aimerai autant que je le fais et te servirai aussi bien que je le pourrai. Je m’étendrai à la porte de ton wigwam et serai toujours prête à répondre à ton appel. Non jamais je me plaindrai ! car je te sais bon et juste et à force de soins et de prévenances, je te ferai peut être oublier le mal que je t’ai fait sans le vouloir ; mais au nom du ciel, au nom du tout ce que tu as de plus cher sur la terre, oh ! ne me livre pas, ne me donne pas à ce misérable. » En disant ces mots, la misérable enfant embrassait mes pieds et versait des larmes capable d’attendrir un rocher.

Quels mépris ne devront pas avoir pour moi ceux qui liront ces lignes et quelle horreur n’ai-je pas ressentie depuis quinze ans contre moi-même au souvenir de cette scène déchirante. Non, dans ce moment je n’étais pas une créature de Dieu, je n’étais pas même un homme, j’étais un véritable démon incarné. Une joie féroce parcourut tout mon être et comme l’éclair, la rage et la jalousie que j’avais nourries depuis si longtemps éclatèrent plus effrayante que jamais.

Au lieu d’être attendri, je saisis l’enfant dans mes bras et allais lui briser la tête sur la pierre du foyer, lorsque l’éblouissement et