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HÉLIKA.

apercevant un spectre hideux penché sur moi ! Son souffle glacé, comme le vent d’hiver m’inondait tout le corps. Bientôt un pétillement comme celui d’un incendie dans les bois se fit entendre. Des lueurs sombres et sinistres environnèrent le spectre. La figure s’en dégagea. Grand Dieu ! que vis-je ? C’était Marguerite telle que je l’avais vue le matin, plongeant encore son regard dans le mien. Il avait la même fixité et le même éclat ; mais cette fois de même que dans la savane, il était chargé de menaces. Ma frayeur augmenta encore, lorsqu’approchant sa bouche décharnée de mon visage, elle me répéta de sa voix brève et sépulcrale : « Frappe si tu l’oses ! » Et après ces mots, un autre spectre vint se placer à côté d’elle, c’était Octave, je le reconnus parfaitement. Ses traits à lui aussi avaient un caractère d’implacable sévérité. Angeline, je ne sais comment, se trouvait derrière eux et arrêtait leurs bras prêts à me précipiter dans un gouffre béant tout auprès de ma couche. Je demeurai foudroyé, anéanti par cette affreuse vision. Mes cheveux se dressèrent d’épouvante, une sueur froide et abondante s’échappa de chaque pore de ma peau ; mes dents claquaient de terreur et pourtant malgré toutes les tentatives que je fis, je ne puis réussir à me soustraire à l’apparition. Vainement cherchai-je à l’éloigner de moi, je fis des efforts en raidissant les bras pour la repousser, mais ils étaient rivés au sol. Ma langue ne put articuler un seul mot, ni mes yeux se fermer. Il ne faut pas croire que ce que je rapporte était l’effet d’un cerveau en délire ; non certes, j’avais la fièvre, mais je les voyais tous deux. Je sentais leur souffle, j’aurais pu les toucher, si l’épouvante, et la terreur n’eussent paralysé tout mon être. Mes chiens eux-mêmes, blottis et tremblants auprès de moi, poussaient des gémissements plaintifs et semblaient me demander protection.

Ah ! combien je souffris dans ces quelques heures, je ne saurais le dire. La force humaine a des limites : peut-être aussi l’idée d’une prière me vint-elle et Dieu eut-il pour moi un regard de pitié ; mais ce que je me rappelle, c’est d’avoir entendu des cris plaintifs, que des flammes m’environnèrent et que je perdis connaissance.

Quand je revins à moi, j’étais étendu sur un bon lit de sapins, un dôme de verdure me protégeait contre les rayons matinaux du soleil ! Les branches entrelacées laissent filtrer une douce lumière et la rosée du matin me représentaient avec les rayons du soleil qui les traversaient, comme un écrin de diamants.

Je fus quelque temps avant que de pouvoir me rendre compte de l’endroit où j’étais, et me rappeler ce qui s’était passé. Après