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HÉLIKA.

avait épargnées ; puis je me glissai sous un amas d’arbres que le vent avait renversés et qui formaient par leurs branches une toiture presque imperméable.

Il était grand temps, car en ce moment la tempête éclatait dans toute sa fureur. Bien des fois j’avais pris plaisir à voir le choc terrible que les éléments dans leur colère insensée, se livrent entre eux. J’entendais alors sans crainte les roulements du tonnerre, et je n’avais pas été ému en voyant la foudre écraser des arbres gigantesques à quelques pas de moi. Je croyais avoir vu en fait d’ouragans tout ce que la nature peut offrir de plus effroyable ; mais jamais je n’avais été témoin d’un tumulte pareil, les éclats du tonnerre étaient accompagnés de torrents de grêle et de pluie. Le vent avec une rage indicible passait au travers des branches, s’enfonçait dans les anfractuosités des rochers avec des cris aigres et discordants qui vous glaçaient de terreur. Sous sa puissante étreinte, les arbres s’entrechoquaient avec de douloureux gémissements. Il me semblait voir leurs troncs se tordre en tous sens, pour échapper à sa force irrésistible de cet ennemi invisible. Je suivais en imagination les péripéties de cette lutte suprême ; mais bientôt, un craquement prolongé m’annonça qu’un des géants de nos forêts venait de tomber, entraînant dans sa chute les arbres voisins qui n’avaient pu supporter son poids énorme. Pendant ce temps, les éclairs se succédaient sans interruption, le firmament était en feu, on eût dit du dernier jour. C’était un spectacle grandiose et effrayant à la fois.

Jamais non plus la grande voix des éléments déchaînés ne s’était montrée aussi solennelle et ne m’avait empêché de fermer l’œil ; mais ce soir-là, je me sentais inquiet, mal à l’aise et malgré mon extrême fatigue, je ne pus pendant longtemps réussir à m’endormir. Toutes ces voix stridentes, tous ces fracas terribles et discordants produisaient sur moi l’effet de fanfares infernales.

L’apparition de l’après-midi me revenait sans cesse à l’esprit et me faisait frissonner ; pourtant ma vengeance n’était pas complète puisqu’Angeline me restait ! D’un autre côté, il me semblait entendre encore le prêtre qui, en montrant le ciel à Marguerite, lui disait : « De là-haut, vous et Octave protégerez votre enfant, si elle est au pouvoir des méchants. »

Toutes ces pensées différentes me bouleversaient et lorsqu’enfin je pus m’endormir, une fièvre ardente s’était emparée de moi et ma tête était brûlante. Mon sommeil fut pénible et agité. J’étais au milieu d’un songe affreux, lorsqu’un éclat de tonnerre plus terrible que tous les autres vint abattre un chêne énorme à quelques pas de moi. Le bruit me fit ouvrir les yeux et que devins-je ? en