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HÉLIKA.

si je ne l’avais recueillie. De salles haillons l’enveloppaient, la faim et les misères de toutes sortes étaient empreintes sur sa figure. J’avais ainsi rempli pour elle le rôle de la Providence.

À chaque mot de cette histoire, l’enfant baignée de larmes venait m’embrasser en me remerciant.

Enfin le jour fixé où je devais la conduire à ses parents, sans toutefois la faire reconnaître, était arrivé.

Elle était encore tout émue de la répétition de ce conte. Oh ! qu’elle était belle avec son costume pittoresque et demi-sauvage que je lui avais fait confectionner sans regarder au prix lorsque je la conduisis chez Octave quelques jours après. J’étais d’ailleurs informé que le temps pressait, parce qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. Mes renseignements étaient bien précis, puisqu’en entrant dans la maison, cette fois j’eus presque peur de mon œuvre. Jamais le génie du mal ne peut infliger dans une paisible et heureuse demeure, plus ou même autant de douleurs que je leur en ai fait endurer. Pour compléter leurs souffrances, un incendie avait détruit leur grange et toute leur récolte l’année précédente ; mes espions m’en avaient informé, c’étaient eux qui y avaient mis le feu d’après mon ordre.

Les malheureux jeunes gens avaient été obligés de contracter des dettes considérables pour réparer les pertes qu’ils avaient subies ; ils étaient donc devenus dans un état de gêne des plus apparentes. Au moment où nous arrivâmes, un prêtre avec une nombreuse assistance terminaient les derniers versets du De Profondis. Tout le monde était triste et recueilli, et l’on entendait des sanglots de tous côtés, Octave venait d’expirer. Son cadavre gisait devant moi. Il était hâve et défiguré au point que je ne l’aurais point reconnu, si ma haine ne m’eût dit que c’était lui.

La prière finie, chacun en essuyant ses larmes disait : « Pauvre Octave, si jeune avec un si long avenir de bonheur devant lui, si plein de force et de santé et malgré tout cela déjà mort. Quelles douleurs terribles les malheureux enfants ont enduré depuis l’enlèvement de leur petite fille, quelles larmes de sang le désespoir ne leur a-t-il pas fait verser, et Marguerite dans peu d’instants, elle aura été rejoindre Octave. Ils seront tous deux bienheureux, alors leur martyr sera terminé. »

Cependant d’après le conseil du prêtre, on avait transporté Marguerite dans un autre appartement pour lui épargner la vue navrante des derniers moments d’Octave ; le silence était parfait et nous l’entendions, qui l’exhortait d’une voix émue et pleine d’onction à se résigner et à faire à Dieu l’offrande des sacrifices que dans ses inscrutables desseins, il avait exigés d’elle.