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HÉLIKA.

en aussi peu de temps que je mets à vous le dire. Je lui en donnai une seconde, et pendant qu’il la mangeait avec la même avidité, je pus l’examiner tout à mon aise à la lueur de mon feu.

C’était un jeune sauvage à figure véritablement patibulaire. Bien que sa charpente fut robuste et osseuse, on voyait par son teint hâve et amaigri qu’il avait souffert de la misère et de la faim. Il était hideux, son visage reflétait toutes les mauvaises passions de son âme, et en l’interrogeant je pus me convaincre qu’il était aussi laid au moral qu’au physique. Il appartenait à une de ces races abâtardies de sauvages, qui ont pris tous les défauts et les vices des blancs, sans même en avoir conservé leurs rares qualités. Il me raconta avec un cynisme étrange ses vols et ses rapines, me nomma avec des ricanements sataniques les victimes qu’il avait faites en tous genres. Puis, il confessa qu’il s’était échappé de la prison dans laquelle il avait été enfermé pour la troisième fois. Je compris d’après ses paroles, que ce n’était pas une évasion, mais que le dégoût ou la crainte qu’il ne gâtât les autres prisonniers, fussent-ils même des plus pervers, l’avait fait rejeter de son sein. C’était d’ailleurs dans un temps où l’on croyait que le jeune délinquant, ne devait pas venir en contact et prendre les leçons des plus roués ou infâmes bandits.

Je le fis ainsi longtemps causer, et m’assurai que je pourrais le dominer. Je me convainquis qu’il serait le meilleur instrument de ma vengeance, et lui demandai ses projets d’avenir. Il m’apprit qu’il allait rejoindre une tribu iroquoise, qui se trouvait à quelques vingt lieues plus loin.

« Pourquoi, lui demandai-je, ne vas-tu pas rejoindre tes frères de ta tribu ? » « Ils ne voudront plus me recevoir, me répondit-il. C’est la troisième fois qu’ils m’ont chassé. »

« Je suis Huron, ajouta-t-il, d’un ton déterminé, mais malheur à eux quand je serai chez les Iroquois, et que j’aurai le moyen de me venger. »

Nous causâmes longtemps, bien longtemps et mêlâmes deux gouttes de sang que nous tirâmes l’un de l’autre avec la pointe d’un couteau, en signe d’éternelle alliance. C’est un serment que le sauvage, fût-il le plus renégat, n’oserait pas violer. Il convint de plus qu’il m’obéirait aveuglement.

Peut-être est-ce le temps de dire ici que, malgré ma scélératesse, je suis toujours resté franchement l’ami de mon pays.

Je lui ordonnai de me conduire dans sa propre tribu, me faisant fort de lui obtenir son pardon.

Les nations sauvages qui nous étaient alors alliées étaient peu