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HÉLIKA.

La voix du moribond à ces souvenirs se remplit d’émotion puis il ajouta comme se parlant à lui-même. « Chers souvenirs des beaux jours de ma jeunesse, combien de fois avec celui des larmes de plaisir de mes bons parents n’êtes-vous pas venus tomber sur mon cœur désespéré comme la rosée bienfaisante sur la fleur desséchée ? Ah ! pourquoi ai-je à jamais abandonné le sentier béni de la vertu avec ses joies si pures et si naïves pour céder à mon exécrable passion ? Pourquoi ai-je perdu le touchant exemple de cette vie de calme, d’amour et de religion que me donnaient ma famille et tous ceux qui m’entouraient ! »… À ces réminiscences de son passé si fortuné, Hélika ferma les yeux comme pour savourer une dernière fois les délices des beaux jours de son enfance. Il parut se recueillir et garda le silence pendant quelque temps.

Monsieur Fameux s’approcha de lui et voulut le dissuader de continuer son récit. « Non monsieur, répondit-il, je dois aller jusqu’au bout de mes forces, c’est un devoir que ma conscience m’impose, et je l’accomplis avec plaisir ; ma résolution est inébranlable. » Puis il demanda quelque chose pour se rafraîchir. Cette demande fut sans doute entendue de l’autre côté, car la même Indienne dont nous avons déjà parlée, apporta une tisane d’une couleur verdâtre. Il but quelques gouttes de ce breuvage qui parut le ranimer. « Éloigne Adala, dit-il à la vieille, qu’elle n’entende pas ce qui me reste à dire. »

« C’est peut-être mal, ajouta-t-il, en se tournant vers monsieur Fameux, mais je voudrais conserver l’estime et l’amour de mon enfant jusqu’au dernier soupir», puis il reprit :

« Vers l’année 17… nous touchions aux vacances qui devaient commencer vers la mi-juillet, mais je ne sais comment me l’expliquer aujourd’hui, était-ce un pressentiment qu’avec elles allaient s’éteindre pour toujours les joies de ma vie ? Hélas ! elles devaient être les dernières, car je terminais mon cours d’étude. Je me sentais triste et abattu. Il y a toujours quelque chose de solennel dans ce suprême adieu que nous faisons à nos belles années de collège. Le succès avait couronné mon travail au-delà de mes espérances. Je remportai presque tous les premiers prix de ma classe. L’accueil que je reçus à la maison paternelle fut encore plus chaleureux, plus affectueux, s’il était possible qu’il ne l’avait été les années précédentes.

« Mon père, ma mère et mes sœurs me reçurent avec les mêmes démonstrations de joie, j’étais le seul fils. Or sans être bien riche, ma famille jouissait d’une honnête aisance comme cultivateur. Après les premiers embrassements. Il va falloir, me dit