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HÉLIKA.

« Quand la réponse à leur demande d’un sursis leur a été apportée, hier soir, et que l’expression formelle du refus leur a été signifiée, jamais scène plus déchirante n’a été vue. »

« D’abord, ils ont préludé aux apprêts de leur mort d’une manière différente, l’un par des chants féroces et sauvages, l’autre par d’exécrables obscénités, puis à minuit sonnant, comme par un accord mutuel, les deux prisonniers se sont tus. Rodinus le complice s’est enveloppé la tête de sa couverture et s’est mis à moduler un chant bizarre mais empreint d’une telle férocité que je ne pouvais m’empêcher de sentir un frisson qui parcourait tout mon être. Paulo au contraire est tombé dans un état d’inertie et d’abattement dont il n’a pas pu être relevé. Le premier a continué son chant étrange jusqu’au moment de l’exécution. Il ne s’y mêlait presque plus d’accents humains. Hélas ! cet homme était plus misérable encore que je ne pensais. Il n’était pas même idolâtre, il était athée. »

« Je compris dans son chant qu’il était heureux de rendre à la matière ce que la matière lui avait donné, le désir de jouissances matérielles, et trouver les moyens de se les procurer, fussent-ils des plus odieux. Tel avait été le but de toute sa vie. »

Je cherchai à réveiller chez l’un et l’autre, chez Paulo surtout d’autres sentiments, mais ce fut en vain, ils ne daignèrent seulement pas me répondre. Je les conjurai, je les suppliai, je leur présentai un crucifix qu’ils outragèrent par leurs crachats comme de nouveaux Judas. »

« Enfin Paulo vers lequel je tournai une dernière espérance, me fit peur, je l’avoue. Quand je le secouai de sa torpeur, le malheureux était dans un délire complet, mais un de ces délires qui ne s’exprime pas par d’énergiques transports, mais par des paroles incohérentes, où le cynisme de la pensée le dispute à l’obscénité de la parole. »

« Il exprimait dans un odieux langage les plaisirs charnels de son passé, il en parlait avec un horrible ricanement. Parfois aussi un calme se faisait. J’essayai bien des fois à en profiter pour me faire entendre. Et alors c’était plus affreux encore. Il sortait de sa tranquillité apparente, et voyait le bourreau disait-il. Il l’apercevait qui attendait à la porte du cachot que l’heure du supplice fût arrivée. Il croyait voir ses gestes d’impatience parce que le moment ne venait pas assez vite. Il décrivait les plis et replis de la corde qui devait l’étrangler et qu’il croyait déjà avoir autour du cou. Il se représentait les vociférations de la foule rendue furieuse par le nombre et l’énormité de ses forfaits. Puis un instant après, il élevait la voix, mais alors sur un ton de supplication il conjurait