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HÉLIKA.

dont ils ont été témoins, parce que je veux les avoir succincts et bien minutieux.

Chers amis, comment reconnaître leur dévouement ? Ils n’ont pas perdu une seule minute pour que je reçusse au plus vite les lettres dont ils étaient porteurs. Je n’ose leur parler pendant leur repas, tant ils dévorent les aliments avec avidité. Quand leur faim fut un peu apaisée, ils me racontèrent qu’ils étaient partis à cinq heures du soir dans un canot et quand leurs bras étaient trop fatigués pour faire glisser le canot sur les ondes, ils ont demandé du secours à leurs jambes et ont pris les chemins des bois. Ils ont devancé de beaucoup le postillon, ils avaient tant hâte de me revoir et de se distraire du spectacle horrible auquel ils avaient assisté.

Mon brave Baptiste en me donnant ces quelques détails feint d’être étouffé par ses bouchées qui, prétend-il, lui font venir les larmes aux yeux, ce qui lui fournit un prétexte de les essuyer. Le Gascon a besoin, paraît-il, d’une eau plus fraiche et prend de là occasion de sortir ; pour le Normand, il m’avoue que son excessive fatigue lui fait couler des sueurs qui se répandent sur ses joues. Ces sueurs ne sont pourtant que des larmes.

Nobles cœurs qui pleurent au souvenir de cette triste fin et sur le sort d’hommes qui les auraient massacrés s’ils en avaient trouvé l’occasion.

Je vais leur en épargner le récit, car Baptiste m’a remis deux lettres et un cahier ; l’une est du geôlier, l’autre de monsieur Odillon.

Avant que de partir de Québec, j’avais payé le geôlier libéralement pour qu’il donnât un accès aussi libre que possible au vénérable prêtre que j’ai prié instamment, par une lettre de se rendre auprès des prisonniers et de veiller au salut de leurs âmes. De Paulo surtout que je n’ai malheureusement que trop contribué à perdre. C’est une légère réparation et un dernier effort que je veux tenter pour le ramener au bien.

Mon bon ami m’a répondu qu’il se mettait de suite en route et qu’il me tiendrait au courant de ce qui se passerait dans la prison jusqu’au jour de l’exécution, suivant le désir que je lui en avais exprimé. En attendant son arrivée, le geôlier s’était engagé à me rendre un compte exact de la conduite et des dispositions des condamnés.

Le repas terminé, j’invite mes amis à s’étendre sur leurs lits. Peu de minutes après le Gascon et le Normand ronflaient à pleins poumons, tandis que Baptiste se tourne de mon côté et semble se consulter intérieurement. Il a certainement quelque chose