Page:Deguise - Hélika, mémoire d'un vieux maître d'école, 1872.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
HÉLIKA.

la table et, tout en s’excusant, il l’approcha du mendiant et le regarda longtemps.

Celui-ci dormait du plus profond sommeil, un peu d’écume même lui sortait de la bouche. « Je pensais, dit-il, en posant la lumière à sa place, que le malheureux était malade, j’avais cru l’entendre se plaindre. »

Je remarquai toutefois que dès ce moment, le louche devint taciturne. Bien que l’heure ne fût pas très avancée, il nous souhaita le bonsoir et partit. Peu d’instants après son départ, le mendiant se leva et se traînant après les meubles, le jarret pliant, d’un pas titubant ; il se dirigea vers la porte fine je fus obligé de lui ouvrir tant il n’y voyait rien. À peine était-il dehors qu’on entendit le cri du merle siffleur. Bientôt après, le fou rentra en trébuchant, se recoucha, en peu d’instants ses ronflements sonores recommencèrent.

Mes voisins se retirèrent en nous disant bonne nuit à la vieille mère et à moi. Tout en allant les reconduire, je fermai les contrevents, pendant que ma vieille indienne Aglaous, éteignait les lumières trop vives. Elle aussi avait reconnu Baptiste, mais moi seul avait pu le remarquer sur sa figure.

Quand je rentrai, une entière transformation s’était faite chez le fou apparent. Il avait ôté sa perruque, fait disparaître une partie de ses haillons ; il causait familièrement avec l’Indienne et n’était pas plus ivre qu’un homme qui n’a bu que de l’eau. C’était aussi ce que contenait la bouteille.

Nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre et après quelques informations, Baptiste s’empressa de me dire qu’il n’y avait aucun danger pour Adala du moins pour quelques jours.

Il me raconta le résultat de sa chasse à l’homme.

Depuis au-delà de huit mois qu’ils poursuivaient Paulo et son digne acolyte, il n’y avait eu que ruses et embûches des deux côtés. C’était à qui surprendrait et ne serait pas surpris.

Les deux scélérats avaient pris tous les moyens possibles pour que leurs traces ne fussent pas reconnues. Afin de faire perdre leurs pistes, ils avaient souvent monté et redescendu dans le cours des ruisseaux des distances considérables. Aussi les chasseurs eurent-ils bien du mal avant que de pouvoir les retrouver.

Enfin un jour, les sauvages se croyant à l’abri de toute poursuite avaient fait halte dans un endroit écarté pour prendre quelque nourriture, sans même avoir la précaution de dissimuler toute trace de passage.

Les Français et un trappeur canadien, qu’ils s’étaient adjoints, reconnaissaient par l’habitude de l’observation la piste d’un homme fut-il sauvage ou blanc.