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que le capitaine et le premier lieutenant étaient allés touts deux à terre ; de sorte que, à part la terreur qu’imprime une tempête, ces gens ne s’étaient trouvés que dans un cas ordinaire où d’habiles marins auraient ramené le vaisseau. Il y avait déjà neuf semaines qu’ils étaient en mer, et depuis l’ouragan ils avaient essuyé une autre terrible tourmente, qui les avait tout-à-fait égarés et jetés à l’Ouest, et qui les avait démâtés, ainsi que je l’ai noté plus haut. Ils nous dirent qu’ils s’étaient attendu à voir les îles Bahama, mais qu’ils avaient été emportés plus au Sud-Est par un fort coup de vent Nord-Nord-Ouest, le même qui soufflait alors. N’ayant point de voiles pour manœuvrer le navire, si ce n’est la grande voile, et une sorte de tréou sur un mât de misaine de fortune qu’ils avaient élevé, ils ne pouvaient courir au plus près du vent, mais ils s’efforçaient de faire route pour les Canaries.

Le pire de tout, c’est que pour surcroît des fatigues qu’ils avaient souffertes ils étaient à demi morts de faim. Leur pain et leur viande étaient entièrement consommés, il n’en restait pas une once dans le navire, pas une once depuis onze jours. Pour tout soulagement ils avaient encore de l’eau, environ un demi-baril de farine et pas mal de sucre. Dans l’origine ils avaient eu quelques conserves ou confitures, mais elles avaient été dévorées. Sept barils de rum restaient encore.

Il se trouvait à bord comme passagers un jeune homme, sa mère et une fille de service, qui, croyant le bâtiment prêt à faire voile, s’y étaient malheureusement embarqués la veille de l’ouragan. Leurs provisions particulières une fois consommées, leur condition était devenue plus déplorable que celle des autres ; car l’équipage, réduit lui-même à la dernière extrémité, n’avait eu, la chose est croyable,