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vu là-dedans combien nous devions rigoureusement veiller sur toutes nos passions, soient-elles de joie et de bonheur, soient-elles de douleur et de colère.

Nous fûmes un peu bouleversés le premier jour par les extravagances de nos nouveaux hôtes ; mais quand ils se furent retirés dans les logements qu’on leur avait préparés aussi bien que le permettait notre navire, fatigués, brisés par l’effroi, ils s’endormirent profondément pour la plupart, et nous retrouvâmes en eux le lendemain une toute autre espèce de gens.

Point de courtoisies, point de démonstrations de reconnaissance qu’ils ne nous prodiguèrent pour les bons offices que nous leur avions rendus : les Français, on ne l’ignore pas, sont naturellement portés à donner dans l’excès de ce côté-là. — Le capitaine et un des prêtres m’abordèrent le jour suivant, et, désireux de s’entretenir avec moi et mon neveu le commandant, ils commencèrent par nous consulter sur nos intentions à leur égard. D’abord ils nous dirent que, comme nous leur avions sauvé la vie, tout ce qu’ils possédaient ne serait que peu en retour du bienfait qu’ils avaient reçu. Puis le capitaine nous déclara qu’ils avaient à la hâte arraché aux flammes et mis en sûreté dans leurs embarcations de l’argent et des objets de valeur, et que si nous voulions l’accepter ils avaient mission de nous offrir le tout ; seulement qu’ils désiraient être mis à terre, sur notre route, en quelque lieu où il ne leur fût point impossible d’obtenir passage pour la France.

Mon neveu tout d’abord ne répugnait pas à accepter leur argent, quitte à voir ce qu’on ferait d’eux plus tard ; mais je l’en détournai, car je savais ce que c’était que d’être déposé à terre en pays étranger. Si le capitaine portugais qui m’avait recueilli en mer avait agi ainsi envers moi,