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pauvre vendredi, mon fidèle Sauvage, en retrouvant son père dans la pirogue, est ce qui s’en approchait le plus ; la surprise du capitaine et de ses deux compagnons que je délivrai des deux scélérats qui les avaient débarqués dans l’île, y ressemblait quelque peu aussi : néanmoins rien ne pouvait entrer en comparaison, ni ce que j’avais observé chez vendredi, ni ce que j’avais observé partout ailleurs durant ma vie.

Il est encore à remarquer que ces extravagances ne se montraient point, sous les différentes formes dont j’ai fait mention, chez différentes personnes uniquement, mais que toute leur multiplicité apparaissait en une brève succession d’instants chez un seul même individu. Tel homme que nous voyions muet, et, pour ainsi dire, stupide et confondu, à la minute suivante dansait et criait comme un baladin ; le moment d’ensuite il s’arrachait les cheveux, mettait ses vêtements en pièces, les foulait aux pieds comme un furibond ; peu après, tout en larmes, il se trouvait mal, il s’évanouissait, et s’il n’eût reçu de prompts secours, encore quelques secondes et il était mort. Il en fut ainsi, non pas d’un ou de deux, de dix ou de vingt, mais de la majeure partie ; et, si j’ai bonne souvenance, à plus de trente d’entre eux notre chirurgien fut obligé de tirer du sang.

Il y avait deux prêtres parmi eux, l’un vieillard, l’autre jeune homme ; et, chose étrange ! le vieillard ne fut pas le plus sage.

Dès qu’il mit le pied à bord de notre bâtiment et qu’il se vit en sûreté, il tomba, en toute apparence, roide mort comme une pierre ; pas le moindre signe de vie ne se manifestait en lui. Notre chirurgien lui appliqua immédiatement les remèdes propres à rappeler ses esprits ; il était le