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sulter les objets du culte public, et une des causes les plus ordinaires des persécutions dans le vaste empire de la Chine.

Il y a bien encore dans Robinson Crusoé quelques autres points qui blessent les convenances ou les idées généralement reçues comme 1.o ce qu’il dit des Cannibales, tome ier, pages 262, 263, 264, 265, 266, et 303. « Quelle autorité, quelle mission avais-je pour me prétendre juge et bourreau de ces hommes criminels lorsque Dieu avait décrété convenable de les laisser impunis durant plusieurs siècles, pour qu’ils fussent en quelque sorte les exécuteurs réciproques de ses jugements ? Comment puis-je savoir ce que Dieu lui-même juge en ce cas tout particulier ? Il est certain que ces peuples ne considèrent pas ceci comme un crime ; ce n’est point réprouvé par leur conscience, leurs lumières ne le leur reprochent point. Ils ignorent que c’est mal, et ne le commettent point pour braver la justice divine, comme nous faisons dans presque touts les péchés dont nous nous rendons coupables. Ils ne pensent pas plus que ce soit un crime de tuer un prisonnier de guerre que nous de tuer un bœuf, et de manger de la chair humaine que nous de manger du mouton. » Ce plaidoyer était tout-puissant pour arrêter le bras de Robinson et l’empêcher de tuer ces Sauvages uniquement parce qu’ils étaient Cannibales ; mais il était insuffisant dans la considération de sa propre défense et de repousser la force par la force ; à plus forte raison devait-il paraître plus insuffisant encore quand il s’agissait de justifier un crime aussi horrible que celui de dévorer des prisonniers de guerre après les avoir immolés. À quoi sert d’alléguer le silence de la conscience, l’habitude invétérée des traditions de famille et de nation, la profondeur des ténèbres de l’esprit, lorsque le cœur se soulève d’horreur à la pensée d’un si détestable banquet ? Bien des raisons contribuent sans doute à atténuer la coutume des Cannibales ; mais il n’en est point qui fasse disparaître entièrement ce qu’elle a d’affreux ; elle demeure toujours exécrable au jugement de la morale et de la révélation. Que Robinson se refuse à renouveler les atrocités des Espagnols dans le Nouveau-Monde, rien de mieux ; mais n’y avait-il pas moyen d’anéantir les sacrifices sanglants des nations américaines autrement que par l’extermination ? Et parce que des Chrétiens mettent à mort des prisonniers après le combat, s’ensuit-il que les anthropophages ne soient pas plus des meurtriers dans le sens, qu’il les avait d’abord condamnés en esprit ? Un crime peut-il justifier un crime par assimilation ? Ne sont-ce pas là de purs sophismes, et rien de plus ? Au reste, il conclut assez bien. « Quant à leurs crimes, ils s’en rendaient coupables les uns envers les autres, je n’avais rien à y faire. Pour les offenses nationales il est des punitions nationales, et c’est à Dieu qu’il appartient d’infliger des châtiments publics à ceux qui l’ont publiquement offensé. »

2.o Ce qu’il dit du commerce des esprits. Il s’exprime ainsi tome ier, page 379 : « Que l’homme ne méprise pas les pressentiments et les avertissements secrets du danger qui parfois lui sont donnés quand il ne peut entrevoir la possibilité de son existence réelle. Que de tels pressentiments et avertissements nous soient donnés, je crois que peu de gens ayant fait quelque observation des choses puissent le nier ; qu’ils soient les manifestations certaines d’un monde invisible, et du commerce des esprits, on ne saurait non plus le mettre en doute. Et s’ils semblent tendre à nous avertir du danger, pourquoi ne supposerions nous pas qu’ils nous viennent de quelque agent propice, — soit suprême ou inférieur et subordonné, ce n’est pas là que gît la question, — et qu’ils nous sont donnés pour notre bien ? » Et tome ii, page 116 : « Je suis convaincu que nos âmes, dans leur enveloppe charnelle, communiquent avec des esprits incorporels, habitants du monde invisible, et en reçoivent des clartés. » Bien que ce commerce des esprits et ces pressentiments secrets ne soient point opposés au sentiment religieux, qu’ils la favorisent même, ils peuvent ouvrir la porte à l’illusion et au fanatisme, et c’est pour parer à cet inconvénient que nous en avons parlé. Toutefois la conviction de Robinson est généralement répandue, et nous en trouvons un exemple dans Mes Prisons de Silvio Pellico, tome ii, page 145 ; « Une voix semblait m’assurer dans l’âme qu’Oroboni n’était plus dans le lieu des expiations ; néanmoins, je ne ces-