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condamnée, quoiqu’elle mette des bornes à l’exercice de quelques attributions du pape ? Sans doute, dans la lie des siècles, les évêques de Rome ont suivi le torrent de la corruption humaine ; mais dans les temps modernes, que de traits de ressemblance ne présentent-ils pas avec leurs devanciers de la primitive Église ? Ils se montrent aussi incontestablement les héritiers de leurs lumières et de leurs vertus, que de leurs augustes prérogatives.

Le roman ajoute (page 375) : « Ce que les Missionnaires appellent la conversion des Chinois au Christianisme est plus éloigné de la vraie conversion requise pour amener un peuple à la foi du Christ, et ne semble guère consister qu’à leur apprendre le nom de Jésus, à réciter quelques prières à la Vierge Marie et à son fils dans une langue qu’ils ne comprennent pas, à faire le signe de la croix et autres choses semblables. » Ceci est évidemment faux. Les Chinois sont instruits dans leur langue, prient dans leur langue, chantent à l’église des cantiques en leur langue, comme on peut s’en convaincre dans les Lettres édifiantes et ailleurs. Au reste, ce qui suit ce passage est un hommage rendu au zèle et au dévouement des missionnaires. « Il faut l’avouer, ces religieux ont une ferme croyance que ces gents seront sauvés et qu’ils sont l’instrument de leur salut ; dans cette persuasion, ils subissent non-seulement les fatigues du voyage, les dangers d’une pareille vie, mais souvent la mort même avec les tortures les plus violentes pour l’accomplissement de cette œuvre ; et ce serait de notre part un grand manque de charité, quelque opinion que nous ayons de leur besogne en elle-même et de leur manière de l’expédier, si nous n’avions pas une haute opinion du zèle qui la leur fait entreprendre à travers tant de dangers, sans avoir en vue pour eux-mêmes le moindre avantage temporel. »

Le grand attachement de Robinson pour le Protestantisme ne l’empêcha pas de professer le catholicisme au Brésil, ainsi qu’il l’avoue, page 14, tome ii : « Je ne m’étais fait aucun scrupule de professer publiquement la religion du pays, tout le temps que j’y avais séjourné. » Et plus fortement encore, suivant une traduction littérale, communiqué par M. Borel : « Seulement, comme j’avais depuis peu réfléchi quelquefois sur ce sujet plus mûrement que jadis, quand je venais à songer qu’il était question d’aller vivre et mourir parmi ces peuples (les Brésiliens), je commençais à me repentir d’avoir professé le Papisme et à croire que ce pouvait bien ne pas être la meilleure religion pour y mourir. » Cet aveu est encore plus formel dans un passage que le traducteur a supprimé, et qui devait se trouver tome ii, page 39, le voici : « Comme j’avais nourri quelques doutes touchant la religion catholique romaine, du temps même que j’étais à l’étranger, surtout durant ma vie solitaire, je sentais qu’il ne m’appartenait pas d’aller au Brésil, encore moins de m’y établir, à moins que d’être déterminé à embrasser le Catholicisme sans réserve aucune, ou que d’être résolu à me sacrifier pour mes principes, à me faire martyriser pour ma religion, à mourir entre les mains de l’inquisition. » N’est-ce pas, en d’autres termes, les deux vers de Zaïre ?

J’eusse été près du Gange esclave des faux dieux,
Chrétienne dans Paris, Musulmane en ces lieux.

Il est vrai que Robinson témoigne du regret d’avoir pu trahir sa conscience, et qu’il rappelle ses remords et ses doutes dans cet état de dissimulation, mais il n’en est pas moins coupable d’avoir professé en public une religion qu’il condamnait en secret et d’avoir été hypocrite malgré ses scrupules. C’est ici le cas d’invoquer l’autorité de Silvio Pellico. « Et si, par le plus incroyable des hasards, nous devrions rentrer dans la société, disait Oroboni, serions-nous assez lâches pour ne pas confesser l’Évangile, pour nous laisser aller au respect humain, si quelqu’un s’avisait de dire que la prison a affaibli notre intelligence, et que par faiblesse d’esprit