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De là, je l’avouerai, naissait ma défiance :
Si sur touts les mortels Dieu tient les yeux ouverts,
Comment sans les punir voit-il ces cœurs pervers ?
Et s’il ne les voit pas, comment peut sa science
Embrasser tout cet univers ?

. . . . . . . . . . . . . . .

Je croyais pénétrer les jugements augustes ;
Mais, grand Dieu, mes efforts ont toujours été vains,
Jusqu’à ce qu’éclairé du flambeau de tes saints,
J’ai reconnu la fin qu’à ces hommes injustes
Réservent tes puissantes mains.
J’ai vu que leurs honneurs, leur gloire, leur richesse,
ne sont que des filets tendus à leur orgueil ;
Que le port n’est pour eux qu’un véritable écueil ;
Et que ces lits pompeux où s’endort leur mollesse,
Ne couvrent qu’un affreux cercueil.
Comment tant de grandeur s’est-elle évanouie ?
Qu’est devenu l’éclat de ce vaste appareil ?
Quoi ! leur clarté s’éteint aux clartés du soleil ?
Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie,
Et la mort a fait leur réveil.

Salomon, auteur de l’Ecclésiaste, conserve religieusement les traditions de David, son père, sur le mélange des biens et des maux qui sont, dans ce monde, le partage de l’impie et du juste.

« — J’ai vu sous le soleil, dit-il chapitre 3, versets 16 et 17, l’impiété dans le lieu du jugement, et l’iniquité dans le siége de la justice, et j’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et l’impie, et alors ce sera le temps de toute chose. »

« J’ai vu les impies ensevelis. Ils étaient pendant leur vie dans le lieu saint, on les louait dans la ville comme s’ils avaient fait le bien ; mais cela même est vanité. » (viii, 10.)

« Il y a des justes à qui des maux adviennent, comme s’ils avaient fait les œuvres des impies ; et il y a des impies qui vivent dans la sécurité, comme s’ils avaient fait les œuvres des justes ; je dis donc que c’est là vanité. » (viii, 14.)

« Tout demeure incertain et se réserve pour l’avenir, parce que tout arrive également au juste et à l’impie, au bon et au méchant, au pur et à l’impur, à celui qui immole des victimes et à celui qui méprise les sacrifices. L’innocent et assimilé au pécheur, le parjure à celui qui respecte le serment. C’est là ce qu’il y a de plus mauvais dans ce qui se passe sous le soleil, que tout arrive de même à touts. De là vient que les cœurs des enfants des hommes sont remplis de malice et de dédain pendant leur vie, et qu’ils descendent ainsi dans le tombeau. » (ix, 2 et 3.)

Insistons sur ce point essentiel que quoique rien n’arrive dans le monde sans une disposition précise de la Providence, nous ignorons complétement si cette disposition est générale ou particulière, si c’est pour ce qu’on appelle vulgairement bonheur ou malheur de la vie.

Ô homme ! qui t’a donné le droit de déterminer les desseins de la Providence dans le gouvernement du monde ? Qui es-tu pour sonder ses secrets et pour pénétrer dans ses impénétrables conseils ? Lorsque Job est précipité du sein de l’opulence dans l’excès de la misère, on n’entend sortir de sa bouche que des paroles touchantes, dictées par la plus sublime philosophie tout aussi bien que par la plus admirable résignation :

Je sortis, ô mon Dieu, nu des flancs de ma mère,
Nu bientôt dans son sein me recevra la terre.
Ta main m’a tout donné, ta main m’a tout ôté ;
Que ton nom soit béni ! que, toujours respecté,
Le décret souverain qu’a dicté la justice
Soit reçu sans murmure et sur moi s’accomplisse !