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Et sa postérité fleurit en sa présence.
De son toit le malheur semble s’être écarté.
Instrument de terreur pour le reste du monde,
La verge du Très-Haut, la verge d’équité,
Respecte son repos et sa sécurité.
Il jouit d’une paix profonde :
De ses taureaux de fierté,
La vigueur est toujours féconde,
Et la génisse qu’il nourrit
Jusqu’au terme porte son fruit…
Ah ! combien des mortels les destins sont divers !
L’un achève une vie exempte de revers ;
Du suc toujours nouveau, plus doux que la rosée,
La moelle de ses os sans cesse arrosée ;
L’autre dans l’amertume, expirant de douleur,
Passe et n’a pas vu luire un rayon de bonheur ;
Une même demeure aujourd’hui les rassemble,
Et, pâture des vers, ils pourrissent ensemble….
Seul, debout, au milieu d’une immense ruine,
Le méchant a bravé la colère divine.
Qui donc lui reprocha sa honte et ses forfaits ?
Et quel bras l’a puni pour les maux qu’il a faits ?
Conduit en pompe en mausolée,
Il semble encore y voir le jour ;
Tranquillement dans la vallée
Il repose, il paraît le roi de ce séjour ;
Et, lui servant d’escorte, une foule sans nombre
Le précède et le suit dans le royaume sombre.

(Traduction de B. M. Levavasseur, Paris, 1826, in-8o.)

L’Arabe Job, comme on le voit, est formel sur ce point, que le juste et l’injuste prospèrent également sur la terre, et qu’il serait impossible de discerner l’état de leur conscience par leur position dans le monde. David ne l’est pas moins. Tout le monde connaît les beaux vers de Racine, qui expriment si bien le verset 36 du psaume xxxv :

J’ai vu l’impie adoré sur la terre ;
Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux
son front audacieux ;
Il semblait à son gré gouverner le tonnerre,
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus.
Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.

(Esther, acte iii, scène ix.)

Le roi-prophète dit aussi, psaume 72, traduction de Jean-Baptiste Rousseau, ode vii, tome Ier, page 31, édition de Paris, 1743, volume in-12 :

Pardonne, Dieu puissant, pardonne à ma faiblesse,
À l’aspect des méchants, confus, épouvanté,
Le trouble m’a saisi, mes pas ont hésité ;
Mon zèle m’a trahi, seigneur, je le confesse,
En voyant leur prospérité.
Cette mer d’abondance où leur âme se noie
Ne craint ni les étoiles ni les écueils ni les vents rigoureux ;
Ils ne partagent point nos fléaux douloureux,
Ils marchent sur les fleurs, ils nagent dans la joie,
Le sort n’ose changer pour eux.

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