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mais que par la suite le guerrier fugitif oublia les rites religieux, ne songea plus qu’à assouvir sa vengeance. En 1732, Labat disait : « Un Caraïbe des îles ne pardonne jamais. Ces sauvages n’ont jamais perdu l’usage de manger la chair de leurs ennemis, et lorsqu’on leur en fait un reproche, ils répondent qu’il n’y a point de honte à se venger. »

Plusieurs expéditions furent dirigées contre les Caraïbes, mais nous ne saurions point entrer dans aucun détail à ce sujet, parce qu’ils nous entraîneraient trop loin. Ces sauvages furent enfin repoussés dans les îles les moins fertiles, puis traqués au milieu de leurs forêts. Dès l’origine ils avaient prévu l’issue de la lutte ; un souffle invisible nous poursuit et nous abat, disaient-ils. La mélancolie, qui de tout temps a été l’apanage de la race américaine, fut augmentée encore par cette certitude d’une destruction inévitable quoique lente. Une grande tristesse se manifestait dans leurs hymnes, et ceux qui allaient pour les détruire ne pouvaient s’empêcher de les plaindre toutes les fois qu’ils les écoutaient ; c’est ce qui nous est attesté par cette phrase d’un ancien officier qui servait dans la milice organisée contre leurs tribus : « Les femmes Caraïbes des îles, dit-il, chantent lugubrement et jettent des cris vers le ciel, si touchants, que l’on ne peut s’empêcher d’en être attendri. »

Rochefort dit avoir entendu quelques paroles énergiques qui peignent encore mieux le désespoir de la nation cherchant en vain un asile. « Que deviendra le misérable Caraïbe ? lui disait ces infortunés ; faudra-t-il qu’il aille habiter la mer ? Il faut que la terre que tu habites soit bien mauvaise, puisque tu viens t’emparer ainsi de celle que nous habitons. » Le P. du Tertre ajoute de son côté : Le seul nom de Chrétien les fait bondir, rien qu’à l’entendre on leur voit grincer les dents.

La haine n’était pas sans motif, et la prévision s’est accomplie ; il ne reste pas aujourd’hui un seul Caraïbe des îles.

Selkirk et le capitaine Dower.