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Aucas est partagé entre quatre gouvernements ou pour mieux dire entre quatre tétrarchies, désignées sous le nom d’Uthalmapus, et gouvernés par des espèces de tétrarques qui prennent le titre de Toquis ; ces chefs sont héréditaires, indépendants l’un de l’autre dans l’administration civile de leur district, mais ils doivent se réunir quand il s’agit de l’intérêt général ; ils ont sous eux des chefs secondaires que l’on désigne sous le nom d’Ulmènes. Ainsi que l’a fait observer déjà un savant géographe, le gouvernement de ce pays offre la plus grande ressemblance avec l’aristocratie militaire des ducs, des comtes et des barons du nord de l’ancien continent, quoique son existence semble de beaucoup antérieure à l’arrivée des Espagnols.

Le système adopté par les Aucas est assez compliqué ; ils reconnaissent un être suprême, auteur de toute chose, qu’ils désignent sous le nom de Pillan. Pilli ou Pulli signifie dans leur langue âme ou esprit par excellence. Eutagen, le grand être, Thalcave, le tonnant, Vivennvoe, le créateur de toutes choses, Vilpelvilvoe, le tout-puissant, Molghele, l’Éternel, Aunonolli, l’infini, sont d’autant de dénominations qui le distinguent. Cela ne veut pas dire que la religion des Aucas soit une espèce de monothéisme. Dans leur pensée, le gouvernement du Ciel est semblable à celui d’ici-bas, et ils ont une foule de dieux secondaires, ulmènes célestes, qui remplissent au firmament les fonctions des ulmènes de la terre. Parmi ces dieux il en est un plus audacieux que les autres, c’est Guecebu le terrible, cause première de touts les maux, et que les ulmènes de la hiérarchie céleste, d’accord avec Meoulen, doivent s’occuper sans cesse à combattre.

Comme plusieurs peuplades américaines, moins avancées qu’eux en civilisation, les Araucans ainsi que les Puelches ont le souvenir d’un cataclysme universel, pendant lequel le monde aurait été inondé. Une foule de traditions poétiques animent les récits de leurs bardes, qu’ils nomment Gempir. Mais ce qu’il y a de plus remarquable sans doute, c’est qu’ils ne sont pas étrangers aux sciences positives. Ils savent déterminer par le moyen de l’ombre les solstices, et, comme on l’a déjà fait remarquer, leur année offre encore plus d’analogie avec l’année égyptienne que celle des Aztèques. Ils divisent le jour naturel comme les Chinois, les Japonais, les Taïtiens. Ainsi que quelques autres tribus, ils distinguent les planètes des étoiles, et, ce qui est si rare chez les peuples de l’Amérique, ils ont dans leur langue des mots pour désigner les différentes espèces de quantités, comme le point, la ligne, le triangle, le cône, la sphère et le cube. Un peuple a cessé depuis long-temps d’être sauvage quand il s’est élevé à ces idées abstraites.

Leur langue est sans contredit une des plus remarquables de toute l’Amérique méridionale, si ce n’est même la plus parfaite : on la désigne sous le nom de chilidugu. Ainsi que nous l’apprend Molina, qui avait eu occasion de l’étudier, elle est douce, expressive, harmonieuse et régulière, aucun terme ne lui manque pour exprimer les idées morales. Quoiqu’elle ne soit pas fixée par l’écriture, la tradition l’a conservée ; les chefs s’efforcent surtout de la parler dans toute sa pureté, et c’est bien d’eux qu’on peut dire ce que disait jadis un vieux missionnaire de la plupart des chefs des tribus américaines : « Ils sont puissants autant qu’ils sont éloquents. »

Voici pour l’organisation sociale et religieuse, pour l’état intellectuel, pour le développement moral de l’individu ; voyons maintenant quelques usages.

Les Araucans et les Puelches sont plutôt des peuples guerriers et nomades que des peuples agriculteurs ; cependant, si les Puelches errent dans leur contrée montueuse comme les Tartares, les Araucans possèdent maintenant une ville assez considérable. En général ils ne forment point bourgades, leurs habitations sont éparses ; dans les endroits propres à l’agriculture, les hommes bèchent la terre et les femmes l’ensemencent.

Le vêtement des Araucans est simple, mais il offre quelque chose d’assez pittoresque. Ceux qui résident dans le voisinage des Européens portent une veste qui leur descend jusqu’à la ceinture, une culotte courte, et le poncho, pièce d’étoffe de laine d’environ trois aunes de long sur deux de large, qui affecte la forme d’un scapulaire, et qui sert à la fois de manteau et de couverture.

Comme chez la plupart des nations peu avancées dans la civilisation, ce