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rité les diverses épithètes que lui donnent les navigateurs, quelques mots vont tout expliquer.

Le groupe de Juan-Fernandez se compose de deux îles situées à trente-cinq lieues l’une de l’autre ; toutes deux portent, sur les anciennes cartes, le nom dit navigateur par lequel elles furent découvertes et le capitaine Moss, qui les a explorées avec une sagacité remarquable, dit qu’on peut aisément les confondre, parce qu’elles sont sous la même latitude. Elles ont reçu, des caboteurs errants dans ces parages, deux dénominations qui attestent leur position en mer. La première, qui a environ quarante-deux milles de circonférence, est désignée sous le nom de Mas-a-Tierra, pour indiquer son voisinage du continent, dont elle n’est qu’à cent cinquante lieues. Mas-a-Fuera n’a qu’une lieue de longueur et elle est plus éloignée des côtes. Sa solitude perpétuelle, ses forêts à peu près semblables à celles du Chili, et que l’on n’aperçoit pas en mer parce qu’elles sont environnées de roches escarpées qui sortent Presque perpendiculairement de l’Océan ; ses vastes citernes naturelles, où viennent se baigner des lions de mer ; tout lui donne un caractère à part et qui empêche qu’on ne la confonde avec l’île plus importante de Mas-a-Tierra, dont nous allons nous occuper.

La grande île de Juan-Fernandez, celle qui servit d’asile à Selkirk, git par 33° 4′ de latitude Sud et par 80° 30′[1] de longitude à l’Ouest de Greenwich. C’est par erreur que Dampier, d’ordinaire si exact, la place par 34° de latitude Sud. Si l’on s’en rapporte à un navigateur anglais qui l’a bien observée, Mas-a-Fuera, vue dans l’éloignement, se présente sous la forme d’un rocher plein de crevasses ; mais à mesure que l’on en approche l’aspect change d’une manière remarquable, et l’on découvre des forêts profondes qui forment un admirable paysage. Vue du côté de l’Ouest, l’île paraît plus haute à son extrémité septentrionale, elle s’abaisse vers le Sud, où elle se termine, à une demi-lieue marine, par un gros rocher qu’on appelle l’île au Cabris.

Si le commandant Laplace, dont nous avons déjà invoqué le témoignage, fut frappé de la nudité extrême des roches qui avoisinent Mas-a-Fuera, la véritable île de Juan-Fernandez lui sembla au premier aspect, d’une extrême fertilité. Toutes les portions du sol ne jouissent pas cependant de cet avantage et certains cantons de la côte sont désolés par d’affreux ouragans.

Il s’en faut bien que l’île de Juan-Fernandez offre maintenant l’aspect inculte qu’elle avait à l’époque où Dampier, Scharp et Cowley venaient de la visiter et où Daniel de Foë allait écrire son livre. Non-seulement les jardin, qui environnent la bourgade qu’on y fonda en 1799, renferment presque toutes les herbes potagères cultivées au Chili, mais on s’y procure encore des figues, des cerises, des pommes de diverses espèces, des amandes, et quelques autres fruits d’Europe. Cette herbe aromatique dont l’usage est si répandu dans une partie de l’Amérique méridionale, et qui remplace le thé au Chili et au Paraguay, le maté vous est offert dans toutes les maisons où vous vous présentez. Les bestiaux transportés du continent se sont multiplies, et l’on aperçoit, dit-on, quelques troupeaux de bœufs et de moutons où l’on ne voyait jadis que des chèvres sauvages. En un mot, une certaine culture, une faible industrie se montre dans un lieu où rien de semblable n’existait encore, il y a près de quatre-vingts ans : cela ne vont pas dire sans doute que cette île exposée, de l’avis de touts les navigateurs, à de perpétuels orages, soit un séjour bien désirable, et que sa population, sans cesse sur le qui vive, doive jamais s’élever à un chiffre bien important. Mais certaines portions abritées peuvent devenir un point utile de relâche, et il est probable que le tableau énergique qui nous a été tracé récemment par un exilé et que nous allons reproduire ici ne peut pas s’appliquer au voisinage de la grande haie, où le mouillage est à l’abri des vents.

« Nous sommes arrivés enfin à Juan-Fernandez, écrivait il y a quelques années D. Juan Egana ; je ne vous parlerai pas des misères qui nous y attendent loin de tout secours humains. Rappelez-vous cette île, qui est le produit de quelque éruption volcanique, et dont on pourrait croire que l’intérieur est encore en

  1. D’après les calculs positifs de M. Laplace, qui commandait la Favorite en 1832, et qui visita ce groupe, la longitude du milieu de l’île de Mas-a-Fuera est de 83° 3′ 27″ 25.