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NOTICE.


tez à quelques îles de la Polynésie ou du grand océan cette poésie d’un jour, qu’elles ont empruntée à une légende presque fabuleuse ; enlevez à l’île de France sa Virginie, à Modère son Anna d’Arfet, à Tonga son Christian, et voilà ces belles contrées privées de leurs souvenirs ; elles n’ont de traditions que celles qui leur ont été léguées par quelque voyageur inconnu ou par le poète qui ne devait jamais visiter leurs rivages s’il est un coin du monde auquel on puisse appliquer ces paroles, c’est bien ce rocher moitié verdoyant, moitié stérile, que Juan Fernandez découvrit dès 1563, et qui resta à peu près ignoré de l’Europe, jusqu’à ce qu’un pauvre matelot écossais, qui vécut dans la solitude près de cinq ans, eût servi de type au héros d’un livre admirable

Mais si l’ouvrage de Daniel de Foë a exercé une assez grande influence pour que toutes les nations ne se soient hâtées de le reproduire dans leurs langues ; si l’on a mis avec juste raison au nombre de ces livres qui agrandissent la pensée et qui initient les jeunes intelligences aux vérités morales les plus élevées, il n’est pas sans intérêt peut-être de retrouver la tradition primitive qui a inspiré l’auteur de Robinson.

L’oubli de certaines données géographiques qu’on remarque chez cet écrivain, et qui devait être volontaire, son dédain évident pour quelques vérités de détails, qu’il a abandonnées sans doute à dessein, la manière dont il confond les coutumes de certains peuples, son ignorance plus marquée de certaines lois d’histoire naturelle, touts ces défauts qu’un seul coup d’œil peut faire reconnaître, sont là comme une ombre bien faible sans doute à la composition admirable du maître : disons plus, ils font ressortir encore mieux peut-être cet instinct puissant de vérité supérieure toujours indépendant de vérité vulgaire, comme le travail l’est du génie.

Les siècles cependant ont leurs exigences. Daniel de Foë ne pourrait aujourd’hui négliger certains détails trop connus. Rétablissons quelques faits purement historiques, rassemblons quelques plusieurs documents épars et qu’il a peut-être trop dédaignés : il y a toujours charme à remonter aux sources, l’œuvre elle-même s’en agrandit

Il n’en est pas de l’île de Juan-Fernandez comme de certaines contrées de l’Amérique : vers la fin du dix-septième siècle, au commencement du dix-huitième, elle était plus célèbre parmi les marins qu’elle ne l’est devenue depuis. On en parlait du moins dans les ports comme d’un lieu abondant pour les relâches, comme d’une île où ceux qui convoitaient les galions de la Nouvelle-Espagne pouvaient aller se réfugier. Les changements arrivés dans la politique du Nouveau-Monde la firent bientôt oublier.

Mais à partir de cette époque rien n’est plus différent sans doute que les diverses relations qui nous sont données par les navigateurs : pour les uns, Juan-Fernandez est un séjour de délices faciles, un lieu de repos ; pour les autres, c’est un rocher aride battu par la tempête, une terre désolée et qui n’offre aucun avantage en compensation des dangers qu’elle fait courir ; cependant ces contradictions apparentes n’ont rien qui doive faire suspecter la vérité de ceux qui les ont répandues selon les années, selon les saisons, selon même la volonté des gouverneurs du Chili, Juan-Fernandez a mé-