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sonnelle, le misérable esclave de ses sens. Généreux ami, laissez-moi dans cette heureuse captivité, éloigné de toute occasion de chute, plutôt que de m’exciter à pourchasser une ombre de liberté aux dépens de la liberté de ma raison et aux dépens du bonheur futur que j’ai aujourd’hui en perspective, et qu’alors, j’en ai peur, je perdrais totalement de vue, car je suis de chair, car je suis un homme, rien qu’un homme, car je ne suis pas plus qu’un autre à l’abri des passions. Oh ! ne soyez pas à la fois mon ami et mon tentateur. »

Si j’avais été surpris d’abord, je devins alors tout-à-fait muet, et je restai là à le contempler dans le silence et l’admiration. Le combat que soutenait son âme était si grand que, malgré le froid excessif, il était tout en sueur. Je vis que son esprit avait besoin de retrouver du calme ; aussi je lui dis en deux mots que je le laissais réfléchir, que je reviendrais le voir ; et je regagnai mon logis.

Environ deux heures après, j’entendis quelqu’un à la porte de la chambre, et je me levais pour aller ouvrir quand il l’ouvrit lui-même et entra. — « Mon cher ami, me dit-il, vous m’aviez presque vaincu, mais je suis revenu à moi. Ne trouvez pas mauvais que je me défende de votre offre. Je vous assure que ce n’est pas que je ne sois pénétré de votre bonté ; je viens pour vous exprimer la plus sincère reconnaissance ; mais j’espère avoir remporté une victoire sur moi-même. »

— « Mylord, lui répondis-je, j’aime à croire que vous êtes pleinement assuré que vous ne résistez pas à la voix du Ciel. — « Sir, reprit-il, si c’eût été de la part du Ciel, la même influence céleste m’eût poussé à l’accepter, mais j’espère, mais je demeure bien convaincu que c’est de par le Ciel que je m’en excuse, et quand nous nous séparerons