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dont je venais de lui faire la peinture, je m’étais cru une espèce de monarque, mais que je pensais qu’il était, lui, non-seulement un monarque mais un grand conquérant ; car celui qui remporte la victoire sur ses désirs excessifs, qui a un empire absolu sur lui-même, et dont la raison gouverne entièrement la volonté est certainement plus grand que celui qui conquiert une ville. — « Mais, Mylord, ajoutai-je, oserais-je vous faire une question ? — « De tout mon cœur, répondit-il. » — « Si la porte de votre liberté était ouverte, repris-je, ne saisiriez-vous pas cette occasion de vous délivrer de cet exil ? »

— « Attendez, dit-il, votre question est subtile, elle demande de sérieuses et d’exactes distinctions pour y donner une réponse sincère, et je veux vous mettre mon cœur à jour. Rien au monde que je sache ne pourrait me porter à me délivrer de cet état de bannissement, sinon ces deux choses : premièrement ma famille, et secondement un climat un peu plus doux. Mais je vous proteste que pour retourner aux pompes de la Cour, à la gloire, au pouvoir, au tracas d’un ministre d’État, à l’opulence, au faste et aux plaisirs, c’est-à-dire aux folies d’un courtisan, si mon maître m’envoyait aujourd’hui la nouvelle qu’il me rend tout ce dont il m’a dépouillé, je vous proteste, dis-je, si je me connais bien, que je ne voudrais pas abandonner ce désert, ces solitudes et ces lacs glacés pour le palais de Moscou. »

— « Mais, Mylord, repris-je, peut-être n’êtes-vous pas seulement banni des plaisirs de la Cour, du pouvoir, de l’autorité et de l’opulence dont vous jouissiez autrefois, vous pouvez être aussi privé de quelques-unes des commodités de la vie ; vos terres sont peut-être confisquées, vos biens pillés, et ce qui vous est laissé ici ne suffit peut-être pas aux besoins ordinaires de la vie. »