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voyage excessivement occupés à nos préparatifs de départ : personne ne se serait imaginé que nous étions allés ailleurs que dans nos lits, comme raisonnablement tout voyageur doit faire, pour se préparer aux fatigues d’une journée de marche.

Mais ce n’était pas fini, le lendemain une grande multitude de gens du pays, non-seulement de ce village mais de cent autres, se présenta aux portes de la ville, et d’une façon fort insolente, demanda satisfaction au gouverneur de l’outrage fait à leurs prêtres et à leur grand Cham-Chi-Thaungu ; c’était là le nom féroce qu’il donnait à la monstrueuse créature qu’ils adoraient. Les habitants de Nertzinskoy furent d’abord dans une grande consternation : ils disaient que les Tartares étaient trente mille pour le moins, et qu’avant peu de jours ils seraient cent mille et au-delà.

Le gouverneur russien leur envoya des messagers pour les appaiser et leur donner toutes les bonnes paroles imaginables. Il les assura qu’il ne savait rien de l’affaire ; que pas un homme de la garnison n’ayant mis le pied dehors, le coupable ne pouvait être parmi eux ; mais que s’ils voulaient le lui faire connaître il serait exemplairement puni. Ils répondirent hautainement que toute la contrée révérait le grand Cham-Chi-Thaungu qui demeurait dans le soleil, et que nul mortel n’eût osé outrager son image, hors quelque chrétien mécréant (ce fut là leur expression, je crois), et qu’ainsi ils lui déclaraient la guerre à lui et à touts les Russiens, qui, disaient-ils, étaient des infidèles, des chrétiens.

Le gouverneur, toujours patient, ne voulant point de rupture, ni qu’on pût en rien l’accuser d’avoir provoqué la guerre, le Czar lui ayant étroitement enjoint de traiter le pays conquis avec bénignité et courtoisie, leur donna encore toutes les bonnes paroles possibles ; à la fin il leur dit qu’une