Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/418

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chameau. Je m’y refusai, et l’affaire fut portée à l’audience du juge chinois du lieu, c’est-à-dire, comme nous dirions chez nous, que nous allâmes devant un juge de paix. Rendons-lui justice, ce magistrat se comporta avec beaucoup de prudence et d’impartialité. Après avoir entendu les deux parties, il demanda gravement au Chinois qui était venu avec moi pour acheter le chameau de qui il était le serviteur. — « Je ne suis pas serviteur, répondit-il, je suis allé simplement avec l’étranger. » — « À la requête de qui ? » dit le juge. — « À la requête de l’étranger. » — « Alors, reprit le justice, vous étiez serviteur de l’étranger pour le moment ; et le chameau ayant été livré à son serviteur, il a été livré à lui, et il faut, lui, qu’il le paie. »

J’avoue que la chose était si claire que je n’eus pas un mot à dire. Enchanté de la conséquence tirée d’un si juste raisonnement et de voir le cas si exactement établi, je payai le chameau de tout cœur et j’en envoyai quérir un autre. Remarquez bien que j’y envoyai ; je me donnai de garde d’aller le chercher moi-même : j’en avais assez comme ça.

La ville de Naum est sur la lisière de l’Empire chinois. On la dit fortifiée et l’on dit vrai : elle l’est pour le pays ; car je ne craindrais pas d’affirmer que touts les Tartares du Karakathay, qui sont, je crois, quelques millions, ne pourraient pas en abattre les murailles avec leurs arcs et leurs flèches ; mais appeler cela une ville forte, si elle était attaquée avec du canon, ce serait vouloir se faire rire au nez par touts ceux qui s’y entendent.

Nous étions encore, comme je l’ai dit, à plus de deux journées de marche de cette ville, quand des exprès furent expédiés sur toute la route pour ordonner à touts les voyageurs et à toutes les caravanes de faire halte jusqu’à ce qu’on leur eût envoyé une escorte, parce qu’un corps for-