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nous dans de grandes outres, et de camper chaque nuit, comme j’ai ouï dire qu’on le fait dans les déserts de l’Arabie.

Je demandai à nos guides à qui appartenait ce pays-là. Ils me dirent, que c’était une sorte de frontière qu’à bon droit on pourrait nommer No Man’s Land, la Terre de Personne, faisant partie du grand Karakathay ou grande Tartarie, et dépendant en même temps de la Chine ; et que, comme on ne prenait aucun soin de préserver ce désert des incursions des brigands, il était réputé le plus dangereux de la route, quoique nous en eussions de beaucoup plus étendus à traverser.

En passant par ce désert qui, de prime abord, je l’avoue, me remplit d’effroi, nous vîmes deux ou trois fois de petites troupes de Tartares ; mais ils semblaient tout entiers à leurs propres affaires et ne paraissaient méditer aucun dessein contre nous ; et, comme l’homme qui rencontra le diable, nous pensâmes que s’ils n’avaient rien à nous dire, nous n’avions rien à leur dire : nous les laissâmes aller.

Une fois, cependant, un de leurs partis s’approcha de nous, s’arrêta pour nous contempler. Examinait-il ce qu’il devait faire, s’il devait nous attaquer ou non, nous ne savions pas. Quoi qu’il en fût, après l’avoir un peu dépassé, nous formâmes une arrière-garde de quarante hommes, et nous nous tînmes prêts à le recevoir, laissant la caravane cheminer à un demi-mille ou environ devant nous. Mais au bout de quelques instants il se retira, nous saluant simplement à son départ, de cinq flèches, dont une blessa et estropia un de nos chevaux : nous abandonnâmes le lendemain la pauvre bête en grand besoin d’un bon maréchal. Nous nous attendions à ce qu’il nous décocherait de nouvelles flèches mieux ajustées ; mais, pour cette fois, nous ne vîmes plus ni flèches ni Tartares.