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car il entendait la langue du pays, parlait bien français et quelque peu anglais : vraiment ce bon homme nous fut partout on ne peut plus utile Il y avait à peine une semaine que nous étions à Péking, quand il vint me trouver en riant : — « Ah ! senhor Inglez, me dit-il, j’ai quelque chose à vous dire qui vous mettra la joie au cœur. » — « La joie au cœur ! dis-je, que serait-ce donc ? Je ne sache rien dans ce pays qui puisse m’apporter ni grande joie ni grand chagrin. » — « Oui, oui, dit le vieux homme en mauvais anglais, faire vous content, et moi fâcheux. » — C’est fâché qu’il voulait dire. Ceci piqua ma curiosité. — « Pourquoi, repris-je, cela vous fâcherait-il ? » — « Parce que, répondit-il, après m’avoir amené ici, après un voyage de vingt-cinq jours, vous me laisserez m’en retourner seul. Et comment ferai-je pour regagner mon port sans vaisseau, sans cheval, sans pécune ? » C’est ainsi qu’il nommait l’argent dans un latin corrompu qu’il avait en provision pour notre plus grande hilarité.

Bref, il nous dit qu’il y avait dans la ville une grande caravane de marchands moscovites et polonais qui se disposaient à retourner par terre en Moscovie dans quatre ou cinq semaines, et que sûrement nous saisirions l’occasion de partir avec eux et le laisserions derrière s’en revenir tout seul. J’avoue que cette nouvelle me surprit : une joie secrète se répandit dans toute mon âme, une joie que je ne puis décrire, que je ne ressentis jamais ni auparavant ni depuis. Il me fut impossible pendant quelque temps de répondre un seul mot au bon homme ; à la fin pourtant, me tournant vers lui : — « Comment savez-vous cela ? fis-je, êtes-vous sûr que ce soit vrai ? » « Oui-dà, reprit-il ; j’ai rencontré ce matin, dans la rue, une de mes vieilles connaissances, un Arménien, ou, comme vous dites vous autres,