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et grasse brute pensait au-dessous d’elle d’employer ses propres mains à toutes ces opérations familières que les rois et les monarques aiment mieux faire eux-mêmes plutôt que d’être touchés par les doigts rustiques de leurs valets[1].

À ce spectacle, je me pris à penser aux tortures que la vanité prépare aux hommes et combien un penchant orgueilleux ainsi mal dirigé doit être incommode pour un être qui a le sens commun ; puis, laissant ce pauvre hère se délecter à l’idée que nous nous ébahissions devant sa pompe, tandis que nous le regardions en pitié et lui prodiguions le mépris, nous poursuivîmes notre voyage ; seulement Père Simon eut la curiosité de s’arrêter pour tâcher d’apprendre quelles étaient les friandises dont ce châtelain se repaissait avec tant d’apparat ; il eut l’honneur d’en goûter et nous dit que c’était, je crois, un mets dont un dogue anglais voudrait à peine manger, si on le lui offrait, c’est-à-dire un plat de riz bouilli, rehaussé d’une grosse gousse d’ail, d’un sachet rempli de poivre vert et d’une autre plante à peu près semblable à notre gingembre, mais qui a l’odeur du musc et la saveur de la moutarde ; le tout mis ensemble et mijoté avec un petit morceau de mouton maigre. Voilà quel était le festin de sa Seigneurie, dont quatre ou cinq autres domestiques attendaient les ordres à quelque distance. S’il les nourrissait moins somptueusement qu’il se nourrissait lui-même, si, par exemple, on leur retranchait les épices, ils devaient faire maigre chère en vérité.

Quant à notre mandarin avec qui nous voyagions, res-

  1. On a passé sous silence la fin de ce paragraphe et le commencement du suivant dans la traduction contemporaine, indigne du beau nom de madame Tastu. — Désormais nous nous abstiendrons, de relever les mutilations que, dans la nouvelle traduction, on a fait subir à toute la dernière partie de Robinson : il faudrait une note à chaque phrase. (P. B.)