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tarie que dans cette Chine où cependant les routes sont bien pavées, bien entretenues et très-commodes pour les voyageurs. Rien ne me révoltait plus que de voir ce peuple si hautain, si impérieux, si outrecuidant au sein de l’imbécillité et de l’ignorance la plus crasse ; car tout son fameux génie n’est que çà et pas plus ! Aussi mon ami Père Simon et moi ne laissions-nous jamais échapper l’occasion de faire gorge chaude de leur orgueilleuse gueuserie. — Un jour, approchant du manoir d’un gentilhomme campagnard, comme l’appelait Père Simon, à environ dix lieues de la ville de Nanking, nous eûmes l’honneur de chevaucher pendant environ deux milles avec le maître de la maison, dont l’équipage était un parfait Don-Quichotisme, un mélange de pompe et de pauvreté.

L’habit de ce crasseux Don eût merveilleusement fait l’affaire d’un scaramouche ou d’un fagotin : il était d’un sale calicot surchargé de tout le pimpant harnachement de la casaque d’un fou ; les manches en étaient pendantes, de tout côté ce n’était que satin, crevés et taillades. Il recouvrait une riche veste de taffetas aussi grasse que celle d’un boucher, et qui témoignait que son Honneur était un très-exquis saligaud.

Son cheval était une pauvre, maigre, affamée et cagneuse créature ; on pourrait avoir une pareille monture en Angleterre pour trente ou quarante schelings. Deux esclaves le suivaient à pied pour faire trotter le pauvre animal. Il avait un fouet à la main et il rossait la bête aussi fort et ferme du côté de la tête que ses esclaves le faisaient du côté de la queue, et ainsi il s’en allait chevauchant près de nous avec environ dix ou douze valets ; et on nous dit qu’il se rendait à son manoir à une demi-lieue devant nous. Nous cheminions tout doucement, mais cette manière de gentilhomme prit le de-