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mais ils ne s’étaient rendus coupables, à s’avouer eux et nous touts pirates, afin de pouvoir nous mettre à mort avec quelques apparences de justice ; poussés qu’ils seraient à cela par l’appât du gain : notre vaisseau et sa cargaison valant en somme quatre ou cinq mille livres sterling.

Toutes ces appréhensions nous avaient tourmentés mon partner et moi nuit et jour. Nous ne prenions point en considération que les capitaines de navire n’avaient aucune autorité pour agir ainsi, et que si nous nous constituions leurs prisonniers ils ne pourraient se permettre de nous torturer, de nous mettre à mort sans en être responsables quand ils retourneraient dans leur patrie : au fait ceci n’avait rien de bien rassurant ; car s’ils eussent mal agi à notre égard, le bel avantage pour nous qu’ils fussent appelés à en rendre compte, car si nous avions été occis tout d’abord, la belle satisfaction pour nous qu’ils en fussent punis quand ils rentreraient chez eux.

Je ne puis m’empêcher de consigner ici quelques réflexions que je faisais alors sur mes nombreuses vicissitudes passées. Oh ! combien je trouvais cruel que moi, qui avais dépensé quarante années de ma vie dans de continuelles traverses, qui avais enfin touché en quelque sorte au port vers lequel tendent touts les hommes, le repos et l’abondance, je me fusse volontairement jeté dans de nouveaux chagrins, par mon choix funeste, et que moi qui avais échappé à tant de périls dans ma jeunesse j’en fusse venu sur le déclin de l’âge, dans une contrée lointaine, en lieu et circonstance où mon innocence ne pouvait m’être d’aucune protection, à me faire pendre pour un crime que, bien loin d’en être coupable, j’exécrais.

À ces pensées succédait un élan religieux, et je me prenais à considérer que c’était là sans doute une disposition