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sait, s’avança un peu. Alors Vendredi se reprit à sauter, et l’ours s’arrêta encore.

Nous pensâmes alors que c’était un bon moment pour le frapper à la tête, et je criai à Vendredi de rester tranquille, que nous voulions tirer sur l’ours ; mais il répliqua vivement : — « Ô prie ! Ô prie ! pas tirer ; moi tirer près et alors. » — Il voulait dire tout-à-l’heure. Cependant, pour abréger l’histoire, Vendredi dansait tellement et l’ours se posait d’une façon si grotesque, que vraiment nous pâmions de rire. Mais nous ne pouvions encore concevoir ce que le camarade voulait faire. D’abord nous avions pensé qu’il comptait renverser l’ours ; mais nous vîmes que la bête était trop rusée pour cela : elle ne voulait pas avancer, de peur d’être jetée à bas, et s’accrochait si bien avec ses grandes griffes et ses grosses pattes, que nous ne pouvions imaginer quelle serait l’issue de ceci et où s’arrêterait la bouffonnerie.

Mais Vendredi nous tira bientôt d’incertitude. Voyant que l’ours se cramponnait à la branche et ne voulait point se laisser persuader d’approcher davantage : — « Bien, bien ! dit-il, toi pas venir plus loin, moi aller, moi aller ; toi pas venir à moi, moi aller à toi. » — Sur ce, il se retire jusqu’au bout de la branche, et, la faisant fléchir sous son poids, il s’y suspend et la courbe doucement jusqu’à ce qu’il soit assez près de terre pour tomber sur ses pieds ; puis il court à son fusil, le ramasse et se plante là.

— Eh bien, lui dis-je, Vendredi, que voulez-vous faire maintenant ? Pourquoi ne tirez-vous pas ? » — « Pas tirer, répliqua-t-il, pas encore ; moi tirer maintenant, moi non tuer ; moi rester, moi donner vous encore un rire. » — Ce qu’il fit en effet, comme on le verra tout-à-l’heure. Quand l’ours vit son ennemi délogé, il déserta de la