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de mille hommes à leurs trousses. Je les laissai, dis-je, et prenant seulement avec moi deux de nos marins, je m’en allai parmi les fuyards. Là, quel triste spectacle m’attendait ! Quelques-uns s’étaient horriblement rôti les pieds en passant et courant à travers le feu ; d’autres avaient les mains brûlées ; une des femmes était tombée dans les flammes et avait été presque mortellement grillée avant de pouvoir s’en arracher ; deux ou trois hommes avaient eu, dans leur fuite, le dos et les cuisses tailladés par nos gens ; un autre enfin avait reçu une balle dans le corps, et mourut tandis que j’étais là.

J’aurais bien désiré connaître quelle avait été la cause de tout ceci, mais je ne pus comprendre un mot de ce qu’ils me dirent ; à leurs signes, toutefois, je m’apperçus qu’ils n’en savaient rien eux-mêmes. Cet abominable attentat me transperça tellement le cœur que, ne pouvant tenir là plus long-temps, je retournai vers nos compagnons. Je leur faisais part de ma résolution et leur commandais de me suivre, quand, tout-à-coup, s’avancèrent quatre de nos matamores avec le maître d’équipage à leur tête, courant, tout couverts de sang et de poussière, sur des monceaux de corps qu’ils avaient tués, comme s’ils cherchaient encore du monde à massacrer. Nos hommes les appelèrent de toutes leurs forces ; un d’eux, non sans beaucoup de peine, parvint à s’en faire entendre ; ils reconnurent qui nous étions, et s’approchèrent de nous.

Sitôt que le maître d’équipage nous vit, il poussa comme un cri de triomphe, pensant qu’il lui arrivait du renfort ; et sans plus écouter : — « Capitaine, s’écria-t-il, noble capitaine, que je suis aise que vous soyez venu ! nous n’avons pas encore à moitié fini. Les plats gueux ! les chiens d’Enfer ! je veux en tuer autant que le pauvre Tom a de cheveux