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que nous puissions faire feu sur l’animal. » — Il m’entendit et cria : — « Pas tirer ! pas tirer ! rester tranquille : vous avoir beaucoup rire. » — Comme l’agile garçon faisait deux enjambées contre l’autre une, il tourna tout-à-coup de côté, et, appercevant un grand chêne propre pour son dessein, il nous fit signe de le suivre ; puis, redoublant de prestesse, il monta lestement sur l’arbre, ayant laissé son fusil sur la terre, à environ cinq ou six verges plus loin.

L’ours arriva bientôt vers l’arbre. Nous le suivions à distance. Son premier soin fut de s’arrêter au fusil et de le flairer ; puis, le laissant là, il s’agrippa à l’arbre et grimpa comme un chat, malgré sa monstrueuse pesanteur. J’étais étonné de la folie de mon serviteur, car j’envisageais cela comme tel ; et, sur ma vie, je ne trouvais là-dedans rien encore de risible, jusqu’à ce que, voyant l’ours monter à l’arbre, nous nous rapprochâmes de lui.

Quand nous arrivâmes, Vendredi avait déjà gagné l’extrémité d’une grosse branche, et l’ours avait fait la moitié du chemin pour l’atteindre. Aussitôt que l’animal parvint à l’endroit où la branche était plus faible, — « Ah ! nous cria Vendredi, maintenant vous voir moi apprendre l’ours à danser. » — Et il se mit à sauter et à secouer la branche. L’ours, commençant alors à chanceler, s’arrêta court et se prit à regarder derrière lui pour voir comment il s’en retournerait, ce qui effectivement nous fit rire de tout cœur. Mais il s’en fallait de beaucoup que Vendredi eût fini avec lui. Quand il le vit se tenir coi, il l’appela de nouveau, comme s’il eût supposé que l’ours parlait anglais : — « Comment ! toi pas venir plus loin ? Moi prie toi venir plus loin. » — Il cessa donc de sauter et de remuer la branche ; et l’ours, juste comme s’il comprenait ce qu’il di-