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de se calmer, afin que nous pussions observer de plus près et plus complètement ce qui se passait sous nos yeux, ce qu’il fit pour quelque temps. La scène n’était pas finie ; car, après qu’ils se furent relevés, nous vîmes encore le pauvre homme parler avec ardeur à sa femme, et nous reconnûmes à ses gestes qu’elle était vivement touchée de ce qu’il disait : elle levait fréquemment les mains au ciel, elle posait une main sur sa poitrine, ou prenait telles autres attitudes qui décèlent d’ordinaire une componction profonde et une sérieuse attention. Ceci dura un demi-quart d’heure environ. Puis ils s’éloignèrent trop pour que nous pussions les épier plus long-temps.

Je saisis cet instant pour adresser la parole à mon religieux, et je lui dis d’abord que j’étais charmé d’avoir vu dans ses détails ce dont nous venions d’être témoins ; que, malgré que je fusse assez incrédule en pareils cas, je me laissais cependant aller à croire qu’ici tout était fort sincère, tant de la part du mari que de celle de la femme, quelle que pût être d’ailleurs leur ignorance, et que j’espérais, qu’un tel commencement aurait encore une fin plus heureuse. — « Et qui sait, ajoutai-je, si ces deux-là ne pourront pas avec le temps, par la voie de l’enseignement et de l’exemple, opérer sur quelques autres ? » — « Quelques autres, reprit-il en se tournant brusquement vers moi, voire même sur touts les autres. Faites fond là-dessus : si ces deux Sauvages, — car lui, à votre propre dire, n’a guère, laissé voir qu’il valût mieux, — s’adonnent à Jésus-Christ, ils n’auront pas de cesse qu’ils n’aient converti touts les autres ; car la vraie religion est naturellement communicative, et celui qui une bonne fois s’est fait Chrétien ne laissera jamais un payen derrière lui s’il peut le sauver. » — J’avouai que penser ainsi était un principe vraiment chrétien, et la