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néanmoins il tombait de peur. Leur effroi fut si grand qu’ils s’éloignèrent de plus en plus, et que, harcelés par nos gens, qui touts les jours en tuaient ou blessaient quelques-uns, ils se confinèrent tellement dans les bois et dans les endroits creux, que le manque de nourriture les réduisit à la plus horrible misère, et qu’on en trouva plusieurs morts dans les bois, sans aucune blessure, que la faim seule avait fait périr.

Quand les nôtres trouvèrent ces cadavres, leurs cœurs s’attendrirent, et ils se sentirent émus de compassion, surtout le gouverneur espagnol, qui était l’homme du caractère le plus noblement généreux que de ma vie j’aie jamais rencontré. Il proposa, si faire se pouvait, d’attraper vivant un de ces malheureux, et de l’amener à comprendre assez leur dessein pour qu’il pût servir d’interprète auprès des autres, et savoir d’eux s’ils n’acquiesceraient pas à quelque condition qui leur assurerait la vie, et garantirait la colonie du pillage.

Il s’écoula quelque temps avant qu’on pût en prendre aucun ; mais, comme ils étaient faibles et exténués, l’un d’eux fut enfin surpris et fait prisonnier. Il se montra d’abord rétif, et ne voulut ni manger ni boire ; mais, se voyant traité avec bonté, voyant qu’on lui donnait des aliments, et qu’il n’avait à supporter aucune violence, il finit par devenir plus maniable et par se rassurer.

On lui amena le vieux Vendredi, qui s’entretint souvent avec lui et lui dit combien les nôtres seraient bons envers touts les siens ; que non-seulement ils auraient la vie sauve, mais encore qu’on leur accorderait pour demeure une partie de l’île, pourvu qu’ils donnassent l’assurance qu’ils garderaient leurs propres limites, et qu’ils ne viendraient pas au-delà pour faire tort ou pour faire outrage aux colons ;