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perche, et une voile de quatre grandes peaux de bouc séchées qu’ils avaient cousues ou lacées ensemble ; et ils étaient partis assez joyeusement. Les Espagnols leur crièrent — « buen viage ». Personne ne pensait les revoir.

Les Espagnols se disaient souvent les uns aux autres, ainsi que les deux honnêtes Anglais qui étaient restés : — « Quelle vie tranquille et confortable nous menons maintenant que ces trois turbulents compagnons sont partis ! — Quant à leur retour, c’était la chose la plus éloignée de leur pensée. Mais voici qu’après vingt-deux jours d’absence, un des Anglais, qui travaillait dehors à sa plantation, apperçoit au loin trois étrangers qui venaient à lui : deux d’entre eux portaient un fusil sur l’épaule.

L’Anglais s’enfuit comme s’il eût été ensorcelé. Il accourut bouleversé et effrayé vers le gouverneur espagnol, et lui dit qu’ils étaient touts perdus ; car des étrangers avaient débarqué dans l’île : il ne put dire qui ils étaient. L’Espagnol, après avoir réfléchi un moment, lui répondit : — « Que voulez-vous dire ? Vous ne savez pas qui ils sont ? mais ce sont des Sauvages sûrement. » — « Non, non, répartit l’Anglais, ce sont des hommes vêtus et armés. — « Alors donc, dit l’Espagnol, pourquoi vous mettez-vous en peine ? Si ce ne sont pas des Sauvages, ce ne peut être que des amis, car il n’est pas de nation chrétienne sur la terre qui ne soit disposée à nous faire plutôt du bien que du mal. »

Pendant qu’ils discutaient ainsi arrivèrent les trois Anglais, qui, s’arrêtant en dehors du bois nouvellement planté, se mirent à les appeler. On reconnut aussitôt leur voix, et tout le merveilleux de l’aventure s’évanouit. Mais alors l’étonnement se porta sur un autre objet, c’est-à-dire qu’on se demanda quels étaient leur dessein et le motif de leur retour.